Le contact entre deux cultures implique un phénomène d’acculturation défini par Couchard (1999) comme « un processus psychique par lequel un individu assimile les modèles et les comportements d’une autre culture que la sienne. Elle peut s’effectuer par assimilation de ces modèles, par juxtaposition avec les modèles originels ou de manière conflictuelle » (Couchard, F. (1999). p. 120).
D’après Demorgon (1999), ce terme aurait été utilisé pour la première fois en 1880 par l’anthropologue J. W. Powell qui aurait alors désigné « les variations et transformations observables des modes de vie mais également de pensée des immigrants au contact de la société américaine » (Demorgon, J. (1999)).
Aujourd’hui, l’acculturation se fait la plupart du temps selon une certaine réciprocité. Il serait abusif de penser que l’acculturation fonctionne en sens unique, avec d’un coté une culture « donneuse » et de l’autre une culture « receveuse ». Il est très rare qu’une société reçoive d’une autre qui transmet de façon unilatérale, comme ça pouvait être à l’œuvre pendant la colonisation par exemple. En réalité il apparait que l’acculturation provoque des changements dans tous les modèles culturels qui se rencontrent : les cultures se construisent et se structurent mais également se déstructurent au contact d’autres cultures. Ainsi comme le remarque Géadah (1999) à ce sujet, « aucune entité culturelle ne peut se targuer de revêtir les spécificités originelles » (Géadah, R.R. (1999). p. 32).
R. Redfield, R. Linton et M. Herskovits (1936) abordent alors la notion de réciprocité de l’acculturation dans le « Mémorandum pour l’étude de l’acculturation ». L’acculturation se définit alors comme « l’ensemble des phénomènes qui résultent de ce que des groupes d’individus ayant des cultures différentes se trouvent en permanence en contact direct, entraînant des changements importants dans les modèles culturels de l’un ou l’autre groupe ou des deux » (Redfield, Linton, R. et Herskovits, M.J. (1936). p. 149 (traduction de l’anglais)).
Aussi, d’autres auteurs comme Géadah (1996) insistent sur cet aspect de modification mutuelle qui survient entre dans la relation interculturelle comme une « dynamique d’échange réciproque entre des personnes et des groupes qui les affecte globalement, avec le processus sous-jacent qui finit par atteindre les schèmes de base et les mentalités » (Géadah, R.R. (1996). p. 20).
On voit à travers ces différentes définitions que l’acculturation peut donc s’utiliser pour un individu ou un groupe, et nous allons essayer de comprendre pourquoi ce phénomène dynamique et réciproque va être très présent dans le cadre de notre recherche, à la fois pour le psychologue étranger expatrié dans une nouvelle culture, mais aussi pour l’équipe, les patients et l’ensemble des partenaires rencontrés.
Habituellement, le concept d’acculturation est surtout utilisé pour illustrer le phénomène qui concerne l’immigré confronté à une nouvelle culture, mais nous souhaitons ici l’appliquer aux situations où des expatriés évoluent dans des nouvelles cultures, où l’acculturation touchera à la fois l’expatrié mais également les personnes qui, dans leur culture propre, sont en contact avec des étrangers.
Conséquences de l’acculturation
L’expatriation peut être brève, quelques semaines ou quelques mois, mais peut également se dérouler sur plusieurs années ce qui permettrait de faire un parallèle avec la question soulevée par Baubet et Moro (2003a) : « être soi-même dans l’exil n’est pas chose aisée, il s’agit de maintenir une certaine cohérence entre ce que le sujet a pu être chez lui ailleurs, dans une autre langue, et ce qu’il doit être ici dans l’exigence d’un projet migratoire, et les exigences d’une société d’accueil » (Baubet T. et Moro, M.R. (2003a). p. 123).
L’acculturation serait toutefois assez différente selon les cas, et on peut alors s’intéresser à la distinction que fait Bastide (1970) entre l’acculturation matérielle et l’acculturation formelle. L’acculturation matérielle affectant les contenus de la conscience psychique mais laissant intact la base originelle, l’acculturation formelle transformant, elle, les « structures perceptives, mnémoniques, logiques et affectives » (Abou, S. (1981). p. 70). On peut alors imager que l’acculturation pourra toucher plus ou moins plus profondément l’individu, l’acculturation formelle modifiant totalement les manières de percevoir et de raisonner, entrainant un nouveau mode de pensée synthèse des deux cultures d’origine et renvoyant alors souvent aux enfants de deuxième génération.
On trouve à travers les auteurs différentes réactions possibles à l’acculturation. D’après R. Redfield, R. Linton et M.J. Herskovits (1936), quand deux systèmes culturels rentrent en contact, il peut y avoir : « acceptation » avec des échanges entre les cultures, voulus ou tolérés et plus ou moins sélectifs, « adaptation » des cultures entre elles pouvant aller jusqu’au syncrétisme à travers la juxtaposition des différentes caractéristiques culturelles entre elles ou la symbiose amenant une nouvelle culture métisse pleinement originale, « dérobade » avec un repli sur soi et une indifférence d’une culture par rapport à l’autre, « opposition » avec des résistances et un mouvement de contre-acculturation, « coupure » avec les maintiens simultanés des deux univers culturels, chacun étant cantonné à un domaine propre, et enfin « destruction » où une culture dominera l’autre pour finalement la faire disparaitre par absorption.
Berry (cité par M. Brégent et al. (2008)) s’inscrit dans la tradition des travaux anglo-saxons et développe un modèle basé sur la problématique du choix que doit effectuer le sujet en réponse à la pression acculturative, entre la « conservation de son identité et de ses caractéristiques culturelles » et « l’établissement et le maintien des relations avec d’autres groupes » et notamment, celui d’accueil. Il propose alors quatre stratégies : « l’assimilation dans la culture d’accueil, la séparation avec repli dans la culture d’origine, la marginalisation par rapport aux deux cultures, l’intégration qui apparaît comme la plus efficace, puisqu’elle permet le maintien des liens entre les deux cultures » (Brégent, M. Mokounkolo, R et Pasquier, D. (2008)). On voit alors quatre niveaux qui apparaissent schématiquement comme du « tout ou rien », où à part l’intégration, on assiste à un abandon ou une absorption totale de l’une ou l’autre des cultures.
A ces classifications, on peut enfin ajouter les trois distinctions que Abou (1981) conçoit comme pouvant advenir dans une situation d’acculturation d’un individu. Le cas où la « déculturation domine », état dans lequel l’acculturation est telle que le sujet en perd ses repères, n’arrive pas à réaliser de compromis : « déchiré entre deux cultures (…), le sujet se débat, dans les profondeurs de son inconscient, entre deux images du père, deux “sur-moi” contradictoires (…) » (Abou, S. (1981). p. 77). Cette situation, éprouvante pour l’individu, menace de développer chez le sujet des sentiments d’infériorité, mépris de soi, repliement sur soi, angoisse, agressivité… jusqu’à la désintégration de sa personnalité. La seconde situation est lorsque la « déculturation est évitée », l’acculturation reste donc dans ce cas au niveau « matériel » selon Bastide, c’est-à-dire partielle, préservant le sujet avec sa propre manière de penser. Il pourra adopter des comportements caractéristiques de la culture d’accueil à l’extérieur, mais maintiendra ses comportements habituels dans la sphère privée. Dans cette situation, l’ajustement de ses comportements à la société d’accueil pour être socialement accepté lui demandera des efforts et nécessiter un entourage « repère », familier culturellement qui l’étayera. Aussi, cet environnement est indispensable pour Abou car « quand ce milieu vient, d’une manière ou de l’autre, à manquer, la déculturation menace et la maladie mentale se profile à l’horizon » (Abou, S. (1981). p. 84). La troisième situation prend forme quand « la réorganisation culturelle domine », c’est-à-dire que l’acculturation apporte un enrichissement de la personnalité et développe la créativité. Dans ce cas, le conflit des cultures se résout à travers des compromis à travers une complémentarité féconde.
L'acculturation au cours d’une expariation
Dans notre cas, l’acculturation du travailleur expatrié sera surtout considérée comme « matérielle » c’est à dire que les contenus de la nouvelle culture rencontrée agiront sur sa conscience mais sans modifier radicalement sa manière de les vivre, de les penser et de les sentir. Il pourra adopter des traits et des modèles propres à la nouvelle culture dans la vie publique et ses relations secondaires mais conservera son codage culturel d’origine dans le domaine du privé et de ses relations primaires.
Aussi, si les « schèmes de base et les mentalités » d’un groupe donné sont touchés, les éléments culturels provenant d’une culture « source » ne seront pas reproduits à l’identique au sein de la société « cible ». En fonction de son système de valeurs, la culture cible se réappropriera le nouvel élément et l’intègrera à son patrimoine à travers un jeu de transformations. Comme l’a écrit Bastide (2002), un système de « désorganisation / réorganisation » va se mettre en place naturellement : « Une culture touchée sur un point, donc en déséquilibre, va tendre à rétablir l’équilibre défait en changeant d’autres secteurs pour les adapter à la modification déséquilibrante » (Bastide, R. (2002). p. 115).
On voit donc à travers ces classifications que l’acculturation apparait comme un processus, dynamique, en cours de réalisation et très influent pouvant modifier profondément la personnalité d’un individu. Il semble que dans tous les cas, les identifications nombreuses et variées du sujet en milieu pluriculturel lui demanderont de trouver un aménagement personnel et créatif.
Evidemment, l’ « adaptation », véritable « brassage des modèles des deux cultures en un tout significatifs et harmonieux » (Redfield, Linton, R. et Herskovits, M.J. (1936). p. 85 (traduction de l’anglais)), est la plus souhaitable pour la socialisation et l’intégration. Elle représente alors un remaniement cohérent des références culturelles : l’adoption plus ou moins forte des valeurs et des normes du groupe d’accueil tout en conservant son originalité culturelle. Cela implique alors que les idéaux des deux cultures en présence ne soient pas incompatibles afin que les compromis soient possibles : « l’adaptation annonçant deschangements chez quelqu’un [facilite] l’intégration qui scelle l’admission de celui-ci dans un groupe et [conduit] à l’acculturation, reflet d’un véritable épanouissement créatif » (Géadah, R.R. (1996). p. 18).
Toutefois, dû à la diversité des systèmes symboliques, certains modèles ne pourront pas toujours être compatibles, voire contradictoires, et la structuration de la personnalité d’un individu pourra alors rencontrer des ruptures ou du moins des décalages. Les réactions du sujet face à ces crises identitaires pourront être variées, mettant en jeu parfois l’intégration ou au contraire la séparation, c’est-à-dire n’intégrant pas les apports des différents éléments culturels mais les clivant en faisant appel à un idéal, à un modèle de référence ou à un autre en fonction du contexte. Une dialectique privé / public pourra alors structurer les stratégies identitaires et distribuer des attitudes dans différents espaces d’évolution.
Références bibiographiques:
Texte extrait de: Bosc, N. (2010). Proposition d’un modèle méthodologique de prise en charge des troubles psychiques dans un contexte interculturel : essai d’ingénierie clinique.
Application à travers l’ouverture et développement
de centres de consultations psychologiques à Hanoi, Vietnam. Thèse de doctorat de psychologie. Université Paris VIII.
Abou, S. (1981). L'identité culturelle : relations interethniques et problèmes d'acculturation. Paris : Anthropos.
Bastide, R. (1970). Le proche et le lointain. Paris : Cujas.
Bastide, R. (2002). Acculturation. Encyclopaedia Universalis. Tome 1.
Baubet, T. et Moro, M.R. (2003a). Psychiatrie et migrations. Paris : Masson.
Brégent, M. Mokounkolo, R et Pasquier, D. (2008). Recherche et classification d’indicateurs d’acculturation à partir du contexte francophone. Psychologie Française, Volume 53, Issue 1. March 2008.
Couchard, F. (1999). Psychologie clinique interculturelle. Paris : Dunod.
Demorgon, J. (1999). Histoire interculturelle des sociétés. Paris : Anthropos.
Géadah, R.R. (1996). Concepts principaux : culture, échanges et intégration. In Référentiel de compétence des acteurs de la formation et de l’insertion professionnelle auprès des publics immigrés. Paris : Ovale-F.A.S.
Géadah, R.R. (1999). Changements culturels et interactions humaines. Revue Internationale d’Etudes Transculturelles et d’Ethnopsychanalyse Clinique, n°3/4.
Redfield, R., Linton, R. et Herskovits, M.J. (1936). Mémorandum for the study of acculturation. American Anthropologist, Vol. 38.