REALISATION DES PROCEDES
ET DES OUTILS DE CHANGEMENT
D’un aspect technique, on pourra retrouver différentes disciplines de la psychologie clinique ou la psychiatrie.
Au Sierra Leone, le psychiatre Philippe Rouby (2003) décrit sa pratique clinique comme s’organisant autour de deux pôles :
- la « clinique directe », sous forme d’entretiens individuels ou familiaux et de groupes thérapeutiques, et
- un « travail indirect », avec le soutien et l’aide à la réflexion pour les acteurs de proximité, et des groupes de formation pour des intervenants confrontés aux effets du psycho-traumatisme.
Parallèlement à ce « cœur de métier », d’autres activités interviendront dans le projet : le management de l’équipe, un travail de communication avec l’extérieur, une gestion du budget, des délais ou de la qualité…
1) La précaution interculturelle
Jahoda (1988) nous met en garde : « beaucoup de psychologues sociaux expérimentaux sont comme des gens qui vivent sur un haut plateau, et qui auraient découvert que l’eau bout à 90°C ; ils ne sont pas d’accord pour écouter les objections qui viennent de la vallée, car pour eux le point d’ébullition est axiomatiquement une caractéristique de l’eau et non du contexte écologique dans lequel on le chauffe ».
Le psychologue évoluant dans un contexte interculturel doit maîtriser deux domaines différents et complémentaires pour sa pratique. Il doit d’une part, connaître le mieux possible la culture dans laquelle il va exercer : identifier les influences sociales qui la soutiennent, comprendre ses mécanismes internes et ses représentations, saisir la logique qui articule tous les éléments entre eux... D’un autre coté, il doit aussi être en mesure de reconnaître chez chaque individu une certaine universalité dans son identité, un fonctionnement commun présent chez tous les hommes quelque soit leur origine, pour pouvoir ensuite adapter des modèles de psychologie à une culture donnée.
Aussi ce dilemme existera à travers toute la psychologie interculturelle : d’après Dasen (1993), « la psychologie interculturelle questionne sans cesse la psychologie générale : les théories prétendues universelles le sont-elles vraiment ? L’a-t-on vérifié empiriquement dans des sociétés très différentes ? A-t-on suffisamment tenu compte des variables culturelles ? Ces théories peuvent-elles expliquer à la fois ce qui est général et ce qui est particulier ? Toute psychologie vraiment scientifique devrait se poser ces questions (…) » . En effet, le psychologue praticien qui exerce auprès de personnes d’origines culturelles différentes de la sienne, s’interroge nécessairement sur l’applicabilité de ses méthodes et de ses techniques. Peut-il utiliser dans la consultation interculturelle, ce qui s’est montré efficace dans la consultation monoculturelle ?
La psychologie clinique, la psychiatrie et la psychanalyse se sont construites selon des conceptions occidentales de la personnalité et de la famille. Bien que nous ayons vu qu’il existait un fonctionnement psychique commun à toutes les cultures, nous avons également vu que les conceptions de la souffrance, des désordres psychologiques et des méthodes de soins variaient beaucoup d’une culture à l’autre. Ainsi, il semble indispensable, comme Lachal (2003) le préconise, « [d’] adapter, modifier voire abandonner dans certains cas nos méthodes « occidentales », mais cela ne constitue pas a priori une impossibilité d’agir » .
L’approche interculturelle est d’intégrer la dimension culturelle aux soins, et ne pas exporter des modèles thérapeutiques occidentaux de force, ce que Hirt (1998) appelle la « machine à occidentaliser ». Pour Aiguesvives (2003), « les « blessures psychiques » doivent être appréhendées au sein du contexte culturel de la victime » . Baubet et Moro (2003b) considèrent comme objectif de « co-construire des façons de faire acceptables pour la population et les professionnels locaux (…). Pour cela, il faut prendre le temps d’explorer les itinéraires thérapeutiques, les conceptions du patient sur ce qui lui arrive, ses théories, les mots de la peur et de la frayeur » .
La précaution interculturelle que nous mettons en avant est donc de « partir des représentations culturelles des patients, prendre en compte le contexte socio-politique particulier dans lequel ils vivent » . Nous voyons donc encore une fois l’utilité de connaître les théories complètes de la personnalité, de la psychopathologie et de la thérapie des autres cultures, pour profiter à la fois de l’approche clinique et de l’approche sociale, et associer l’universalité du psychisme à la spécificité culturelle. La remise en question de son savoir et de ses représentations, la prise en compte des spécificités culturelles sera pour, le psychologue étranger, une constance à suivre que ce soit par rapport à la clinique directe et au travail indirect.
Nous présentons ici certains points qui apparaitront immanquablement dans tout projet de psychologie interculturelle, mais tout en souhaitant faire figurer l’essentiel, nous ne pouvons pas être exhaustif ni présenter en détails chaque point. Chaque sujet étant souvent largement couvert par la littérature, le psychologue-chercheur se devra ensuite de préciser son action en effectuant des recherches complémentaires.
Rérérences:
Aiguesvives, A. (2003). Santé mentale. In Médecine humanitaire. Paris : Médecine-Sciences Flammarion.
Dasen, P.R. (1993). L’ethnocentrisme de la psychologie. In : Rey-von-Allmen (Eds). Psychologie clinique et interrogations culturelles. Paris : L’Harmattan.
Hirt, J.M. (1998). Transculturel : l’ici et l’ailleurs. In : L’entretien en clinique. Cyssau, C. (Eds). Paris : Press Editions.
Lachal, C. (2003). Mettre en place une mission de soins psychologiques. Pourquoi ? Quand ? Comment ? In Baubet T, Le Roch K, Bitar D, Moro MR. (Eds) Soigner malgré tout. Vol. 1 : Trauma cultures et soins. Grenoble : La Pensée sauvage.
2) La clinique directe
a) L'entretien clinique interculturel
L’entretien thérapeutique en situation interculturelle remet en cause beaucoup de schémas existants habituellement admis car reposant principalement sur « l’écoute de la parole du patient » (Moro, M.R. (2003). p. 14), il soulève alors toute la question des différences de représentations culturelles. Pour le psychologue clinicien, il est donc important de prendre conscience des différentes conceptions présentes dans les cultures rencontrées, et devra concevoir son patient comme un individu intégré et influencé par sa culture, mais en même temps, unique, avec sa propre histoire et ses propres représentations.
Dans cette configuration, le clinicien doit repenser la plupart de ses théories et « se poser en permanence la question de ce qui fait souffrir, ce qui soigne et en quoi il peut y être inclus » (Rouby, P. (2003). p. 197). Donc l’une des grandes difficultés à laquelle sera confronté le clinicien est, tout en sachant éviter les stéréotypes réducteurs et garder toujours un esprit critique face à des « sociétés [qui] ne sont jamais homogènes et évoluent sans cesse » (Dasen, P.R. (1993). p. 161), de s’efforcer de saisir le comportement individuel et d’isoler le vécu singulier du patient, implicite, parfois dissimulé derrière un comportement jugé comme typiquement culturel.
En psychologie la relation thérapeutique est centrale et constitue un des éléments fondateurs de toute pratique, la relation qui se créée avec un patient d’une autre culture est donc à étudier attentivement car elle sera forcément très influencée par les représentations culturelles de chacun. Aussi, la reconnaissance de l’altérité en parallèle de l’universalité psychique semble être le pari audacieux de l’ethnopsychiatrie, et s’impose dans toute relation clinique interculturelle que ce soit de la part du patient ou du psychologue expatrié.
D’après Moro (2007), l'altérité s'entend comme « cette qualité de ce qui est autre, sentiment qui est ressenti peu ou prou par tout migrant et par tout enfant de migrants dans la mesure où il n'y a pas de cohérence immédiate, sensible, logique, pas d’adéquation systématique entre le transmis et le vécu, le dedans et le dehors. Que ce soit pour le patient dans sa demande, la construction de l'alliance et le transfert qu'il établit ou pour les thérapeutes dans leur contre-transfert, leur vécu de la différence culturelle, l'élaboration de cette altérité nous apparaît comme un temps souvent nécessaire pour permettre des changements profonds ».
Fassin (2000) rappelle alors que la construction du rapport à l’autre se fait en fonction de sa relation à l’altérité, mais aussi par rapport à l’universalité. Dans la relation interculturelle s’organisent alors deux tendances opposées : l’altérité et l’universalité. Si dans d’un coté tous les hommes font partie de la même humanité, de l’autre, la culture de chacun va apporter des spécificités qui créeront des écarts culturels qui marqueront alors l’altérité. L’équilibre est alors subtil car il s’agit de « dépasser l’absolu de la différence pour construire une dialectique de l’altérité et de l’universel, c'est-à-dire pour penser l’autre comme différent de soi et pourtant même que soi ». On voit alors la dialectique fondamentale entre « l’unité de l’homme [et] la pluralité des cultures ».
La même idée est alors reformulée par Lipiansky (1992) qui arrive à lier des concepts apparemment opposés dans une logique cohérente : « Accepter l’autre comme semblable, c’est admettre que la différence n’exclut pas la similitude ».
En prenant l’exemple d’un cadre de travail avec les enfants, Devereux (1985) met en garde le clinicien expatrié : « L’ethnopsychanalyse nous enseigne que l’image qu’on se fait de l’enfant est en grande partie d’origine culturelle, ce qui veut dire que, dans l’image de l’enfant, cette part culturelle est du matériel projectif et que donc, chaque groupe social définit l’enfant selon des normes qui sont utiles au groupe : commodes aux parents et aux aînés, bien plus que conformes à la réalité objective qui est l’enfant ».
Reprenant le même exemple, Moro (1998b) considère que « ces représentations culturelles préexistent à l’enfant, elles constituent une sorte d’image qu’il va venir habiter. (…). Elles déterminent la manière dont l’enfant est investi et donc perçu. Elles influent sur la manière dont on entre en relation avec lui ».
Le clinicien est au centre du dispositif de soin. La situation interculturelle l’oblige à partager son attention entre une sensibilité culturelle et un sens clinique, ainsi pour allier ces deux dimensions, il doit se positionner d’une façon précise dans la relation thérapeutique. Le contre-transfert qui est présent dans tous les types de prise en charge, tient donc une place particulièrement importante dans la situation interculturelle.
Dans les entretiens thérapeutiques, « l’instrument de compréhension du thérapeute, c’est lui-même et son monde interne, ses conflits, ses limites, son angoisse, tout ce qui constitue sa manière particulière de voir le monde et de se situer ». C’est par une sorte de « dissociation dans laquelle une partie de nous-mêmes opère une identification projective avec le patient, tandis que l’autre partie reste en dehors, pour observer et réfléchir à ce qui se passe » (Fridman-Wenger, M. (1993). p. 342) que le travail de l’entretien peut s’opérer. Le contre-transfert, qui participe pleinement au potentiel soignant « dépend à la fois de son savoir, de son équation personnelle, c'est à dire de sa structure et de son imaginaire, de sa formation pratique et théorique et de ses origines » (Raimbault, G. et Zygouris, R. (1991). p. 163). Les origines culturelles du thérapeute, son empathie, sa sensibilité, la compréhension qu’il aura de l’autre sera en rapport direct avec son histoire personnelle, et seront déterminantes dans la relation qu’il aura avec le patient.
Mais, il est indispensable pour le thérapeute d’être attentif à ses contre-attitudes et de les prendre en compte dans sa pratique. Pour aménager une bonne situation transférentielle, équilibrée entre « une distanciation abusive contre une implication et l’angoisse qu’elle suscite, et une proximité trop intime » (Bertrand, D. (2001). pp. 25-26), le clinicien doit savoir « échapper aux impasses d’une pensée projective (…) différer ses attentes, (…) respecter les silences, (…) s’incliner devant les résistances » (Reveyrand-Coulon, O. (1993). p. 206). Pour cela, et spécialement dans un contexte d’interculturalité, le thérapeute doit parvenir à « dépasser les interdits, les jugements de valeur, les catégories de pensées, etc., de sa culture d’origine et à élargir son cadre culturel » (Reveyrand-Coulon, O. (1993). p. 207).
Face à cela, le clinicien peut adopter en situation interculturelle, une démarche de chercheur dans le sens où « la recherche passe tout d’abord par du renoncement, par le deuil nécessaire d’un savoir que nous aurions sur l’objet. (…). L’ignorance est la condition même du chercheur qui veut trouver quelque chose ; elle contredit son statut, son rôle dominant et permet l’émergence de la parole » (Bertrand, D. (2001). p. 22). Ainsi, ce n’est pas avec des certitudes que commence un entretien, mais avec une position d’ouverture à l’inattendu, donc à la surprise.
La place du patient au sein de la relation thérapeutique est souvent à définir et construire avec lui car il sera souvent dépourvu de toute expérience ou savoir par rapport au travail de psychologie clinique.
A l’exemple de ce que l’on peut retrouver au Sénégal, le patient ou la famille qui vient au centre de consultations psychologiques « ne vient pas pour une psychothérapie ou de la psychomotricité » (Martens, A.F. (2001). p. 150) car ne se représente souvent pas bien l’activité du psychologue ou du psychiatre, la discipline qui est derrière, les modalités d’une prise en charge psychologique…
Les premières formulations de la demande sont souvent inversées car, dans un pays où la psychologie est peu développée, le patient ou sa famille demandent souvent au clinicien : « que pouvez-vous faire pour nous », situation qui peut paraitre opposée par rapport à ce que l’on peut rencontrer dans les pays occidentaux où, le clinicien sera cette fois en mesure de demander « que puis-je faire pour vous » ou « qu’attendez-vous de moi ».
Dans le type de clinique interculturelle, le clinicien doit donc arriver à ce que « la demande évolue dans le temps, s’étoffe, se modifie » (Martens, A.F. (2001). p. 150) ou tout simplement, apparaisse. Pour cela, la qualité de la relation entre le clinicien et le patient est centrale, et l’information du patient sera primordiale. Par rapport au thérapeute, le patient « doit pouvoir lui faire une place en lui-même, lui faire confiance (…). Il doit pouvoir « transférer » (…) suffisamment de représentations mentales et d’affects positifs liés à celle-ci, pour que toutes ces « bonnes choses » constituent la trame sur laquelle va pouvoir se tisser la rencontre » (Mantese-Curapli, I et Rizzo, N. (1993). p. 333).
Mais l’importance de cette altérité, « étrangers doublement étranges » comme le dit Nathan (1986), conjuguant simultanément la rencontre d’une autre personne et d’une autre culture peut conduire à des travers qui pourront nuire au travail thérapeutique.
Selon Blomart et al. (1994), la culture est à l’origine « de notre auto-perception qui crée constammentdes distinctions entre le moi et le non-moi, le nous et le vous, le soi et l'autre» (Blomart, J. et Krewer, B. (1994). p. 10). Aussi, si la culture joue un rôle central dans l'organisation du vécu psychique, des différences culturelles pourront induire certains conflits, et une incompréhension ou une déformation de l’altérité risquera de nuire à la rencontre, chacun restant centré sur ses propres représentations pour préserver une identité culturelle défensive.
D’après Moro (1998a), dans le dispositif clinique « ignorer l’altérité, c’est non seulement se priver de l’aspect créatif de la rencontre, c’est aussi prendre le risque que ces patients ne s’inscrivent pas dans nos systèmes de soins, c’est enfin les contraindre à une solitude élaborative voire une rigidification ».
La différence de culture au sein de la relation entre le thérapeute et le patient peut impliquer des réactions originales de la part du thérapeute qu’il nous faut ici aborder. Nathan (1986), en s’appuyant sur les travaux de Devereux, a parlé du contre-transfert culturel. Les représentations sociales peuvent en effet parasiter l’attitude adoptée par le clinicien face au conflit d’un sujet d’une autre culture. Nous savons que chaque thérapeute est, de par son histoire personnelle, influencé par un ensemble d’implicites qui seront susceptibles d’être activés lors de la rencontre thérapeutique. Ils pourront alors engendrer des contre-attitudes négatives allant à l’encontre de la cure, en conduisant par exemple, à « confondre l’altérité culturelle et l’étrangeté psychiatrique ».
Ainsi, existent différents obstacles qu’il est important de connaître pour mieux les éviter. Samovar et Porter (1991), ont dressé un inventaire des attitudes qui pourraient nuire à une empathie culturelle :
Fridman-Wenger (1993) isole lui aussi quelques freins pouvant survenir lors d’une consultation en milieu interculturel. Tout d’abord, le psychologue pourrait se réfugier dans une distance démesurée, derrière une « véritable forteresse psychique (…) qu’il justifierait au gré de ses défenses culturelles, mais qui correspondrait en réalité au déplacement de son attitude défensive et à des mécanismes de rationalisation, de contrôle et de projection dont un exemple fréquent est les placages des caractéristiques culturelles stéréotypées, bien souvent idéalisées, du type : « les Asiatiques sont persévérants », « les enfants Noirs sont turbulents », etc. Ce type de regard permet de diluer l’impact de la problématique individuelle dans un système de type idéologique ».
Cette notion de projection de schémas stéréotypés sur le patient représente certainement l’un des biais qui menace le plus le thérapeute étranger. Par le « commandement » suivant, « Ne pas enfermer les gens dans leurs traditions », Ortigues (1993) insiste sur ce point qu’elle présente comme une « exigence ».
« Quelle que soit la société envisagée, un individu, une personne, ne se réduit pas à être le produit « typique » de cette société. La société, comme la famille, fournit à chacun les matériaux et les repères pour se construire dans sa singularité. Contrairement aux sociologues, les cliniciens ont à faire à des personnes, chacune unique par son histoire et par ce qu’elle fait dans sa vie. La tradition dont elle est issue ne peut que fournir un cadre permettant de situer ses comportements et expressions, mais non de les décoder. En outre, nous ne savons pas à quelle distance des traditions se situent ou tentent de se situer ceux qui nous parlent. Certains s’accrochent à leurs traditions (...) d’autres se veulent dégagés (...) ; la plupart tâtonnent, oscillent et sont déchirés » (Ortigues, M.C. (1993). p. 268).
Fridman-Wenger (1993) cite une autre attitude, opposée à cette dernière, qui serait de « réagir en donnant une réponse immédiate, destinée en premier lieu à exprimer sa propre anxiété. Il s’agirait en réalité d’une réponse compulsive impliquant l’abandon du rôle et de l’attitude technique du thérapeute, une sérieuse mise à l’épreuve et, fréquemment, la rupture du cadre de l’investigation ». Ces contre-attitudes seront l’objet de mesure développées dans la partie consacrée aux supervisions.
A la lecture de Couchard (1999), on peut prolonger cette idée et identifier les risques qui menacent le clinicien interculturel : si « la psychologie interculturelle repose sur la capacitéd’identification à un autre, si semblable et si étranger à la fois », il s’agit toutefois de savoir se positionner entre ces deux extrêmes. En effet, en cas d’abus, Lipiansky (1992) présente alors trois « mécanismes socio-cognitifs face à l’altérité » qui amènerait dans le premier cas un excès relatif à l’ethnocentrisme, dans le second à des considérations ethnicistes ou exotiques, et enfin nous verrons également le biais de la catégorisation.
D’un coté, l’altérité pourra être perçue comme angoissante ou dépréciée. Lévi Strauss (1961) constate que la diversité culturelle est souvent réinterprétée et que l’étranger peut être souvent perçu comme non civilisé et non humain. Plus qu’à travers ses différences, c’est surtout le « manque » qui va dessiner l’Autre : son manque de spiritualité, son manque de manières, son manque de connaissances… Cela peut-être dû selon Kaës (1998) à ce que « chaque culture se représente universelle, (…) [et] calme l’angoisse de ses sujets devant ce qui, pour eux, est l’étranger : c’est-à-dire d’abord le représentant du déplaisir et de l’inconnu menaçant ».
Aussi, si l’altérité, et la perception de l’ « étranger », peuvent apparaitre comme angoissantes car s’échappant des habitudes culturelles, des raisons plus personnelles peuvent aussi influer. Freud (1919) dans « L'inquiétante étrangeté » voit alors l’étrangeté comme révélant le « refoulé angoissant qui fait retour », car d’un point de vue psychanalytique, « chacun est pour l'autre un étranger et nos peurs infantiles sont réactivées par l'angoisse devant nos inconnues internes » (Kaës, R. (2000)). Les représentations inconscientes pourront alors au contact de l’étrangeté, faire resurgir des angoisses primaires, engendrer souffrance et déplaisir, et provoquer une crise, qui pourra amener un rejet et une exclusion. Inversement, la rencontre avec l’étrangeté pourra renvoyer à une assurance interne, l’impression de n’être étranger nulle part, la prétention d’être partout chez soi, d’être « hors la différence » (Baqué, S. (2002)). La psychanalyse avance alors une explication en y voyant un fantasme de « réassurance devant le vécu dépressif possiblement lié à cette perte » (Baqué, S. (2002)).
Evidemment ces deux positions apparaissent comme excessives car dans les deux cas, la différence n’est pas assumée. L’Autre devient alors facilement l’objet de nos projections. Auriol (1994) reprenant le concept de l’ « ombre » de Jung propose alors une piste de réflexion pour tenter d’expliquer l’habitude que l’on peut avoir d’expulser nos peurs sur Autrui. D’après Jung (1973), « l’ombre personnifie tout ce que le sujet refuse de reconnaître ou d’admettre et qui, pourtant, s’impose toujours à lui, directement ou indirectement, par exemple les traits du caractère inférieurs ou autres tendances incompatibles ». Selon Jung, l’individu peut soit connaitre son ombre soit la méconnaitre. Dans le cas de la méconnaissance, il sera alors incité de projeter ses propres désirs, fantasmes ou frustrations inconscientes sur autrui. Dans la situation interculturelle, « Il s’agit de rejeter au dehors ce qu’on refuse de reconnaître en soi-même ou dans son groupe d’appartenance » (Auriol, B. (1994)).
Reconnaître la différence puis l'accepter est alors un mécanisme qui permet au moi d’éviter la dépression d’un coté à travers une « invasion de l'indifférenciation » (Maqueda, F. (1998). p. 67) ou de l’autre une réaction excessive impliquant un narcissisme exacerbé. A la lumière de la théorie de M. Klein, faire l'expérience de la différence est alors de pouvoir reconnaître l'autre comme différent, existant, comme être unique et total, indépendant de soi. Il y a alors un dépassement de la position dépressive où le sujet se reconnaît lui-même unique et existant pour soi à travers le regard de l'autre qui signe la maturation psychique.
L’altérité est donc une capacité de rencontrer l'autre dans sa différence, et par-là être en mesure de se rencontrer soi même et faire face à son individualité et son rapport à l’autre. Dans le domaine de l’humanitaire, Gaulejac (1999) définit alors l'altérité comme « cette capacité d'entrer en rapport avec un semblable – différent, un autre soi-même qui ne l'est pas ». Dans cette optique, « la représentation de soi se forme à partir de l'autre et de la relation à l'autre » (Kaës, R. (1998). p. 213).
Aussi, par rapport à ces deux dimensions de connu et inconnu, Rousseau (2002) souhaite mettre en garde le clinicien en l’amenant à respecter l’incertitude et reconnaitre le rôle salutaire de l’ignorance : « L’investissement de l’ignorance et la séduction du chaos peut se payer cher, mais l’introduction d’un degré tolérable de doute et d’incertitude dans une pratique clinique peut donner aux cohérences nécessairement construites en cours d’intervention la fluidité nécessaire à tout processus de décentration ou de modification des relations de pouvoir. À ce titre, l’incertitude nommée dans un espace institutionnel peut devenir un élément clé de l’interaction clinique transculturelle et être complémentaire à la construction de la connaissance et à la critique de celle-ci ». La discussion autour de cette « incertitude » sera alors l’objet de toutes les approches de suivi et du travail en équipe entre les cliniciens des différentes cultures qui parait indispensable lors de tout travail clinique en situation interculturelle.
Rérérences:
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b) L'évaluation interculturelle
La situation interculturelle interroge forcément le psychologue clinicien sur la validité des techniques d’évaluation qu’il utilise habituellement. La psychométrie se base principalement sur une répartition des sujets en fonction de leur performance par rapport à une population de référence. Or, il se trouve que la plupart des tests utilisés aujourd’hui sont étalonnés pour des populations occidentales, beaucoup d’entre eux ne peuvent donc pas être utilisés dans d’autre pays. Pourtant, le diagnostic est fondamental dans le cadre d’une prise en charge psychologique car il constitue souvent une première étape vers le projet thérapeutique, et peut ensuite permettre une évaluation de son efficacité.
Pour ces raisons, nous devons donc nous interroger sur les éventuelles modalités à appliquer pour mener à bien une évaluation interculturelle.
Dans un premier temps, nous verrons en quoi l’entretien clinique dans un contexte interculturel peut renseigner efficacement le praticien, puis d’un point de vue psychométrique, nous étudierons quatre possibilités qui s’ouvrent au psychologue clinicien : l’adaptation de tests pré-existants, le ré-étalonnage de tests déjà existants, l’utilisation de tests dits « culture-free » et enfin, la conception de nouvel outil d’évaluation.
L’évaluation nécessite l’exploration du fonctionnement interne du sujet. Pour qu’elle soit la plus fidèle possible, le thérapeute doit surtout veiller au « respect de la dynamique psychique [du patient] » (Sipos, J. (1998). p. 112).
Aussi, on peut s’interroger ici sur l’approche à utiliser pour diriger les entretiens. S’il semble que dans les cultures occidentales, l’approche semi-directive soit la plus utilisée, dans d’autres cultures, une approche structurée pourra apparaitre comme plus adéquate. Aussi, il nous semble ici que l’on peut toujours chercher à proposer des entretiens semi-structurés qui laisseront un maximum de liberté au patient et permettront que sa plainte, ou ses symptômes, apparaissent naturellement. Cette approche semi-structurée pourra ensuite être ajustée en fonction de la personnalité du patient ou de la culture, certain souhaitant un cadre libre et peu structuré, leur offrant la possibilité d’organiser l’entretien comme ils le souhaitent, d’autres, au contraire, préférant un certain soutien nécessitant l’organisation de l’entretien à travers un rythme de question et une certaine directivité. Mais dans les deux cas, la semi-directivité s’imposerait car le clinicien pourra favoriser l’expression libre du patient en lui offrant l’espace qu’il nécessite pour exprimer ce qu’il souhaite.
Pour recueillir des informations sur la souffrance ou les difficultés du sujet, le clinicien doit être attentif à la qualité de son discours, à son contenu et à son comportement. Pour cela il doit encore une fois savoir apprécier aussi bien l’universel que la diversité, pour distinguer les « « dires singuliers (…) [et] dépasser le convenu, l’officiel. Alors, seulement peuvent surgir dénégations, conflits, émotions, angoisses, malaises, car tout ce qui constitue le versant sensible de l’expérience individuelle est soumis au consensus adaptatif et collectif attendu » (Reveyrand-Coulon, O. (1993). p. 201). Grâce à ses connaissances théoriques, à son sens clinique et à différentes techniques d’entretiens, il sera alors en mesure d’identifier des signes pathologiques qui pourront l’amener à établir son diagnostic, et à proposer par la suite une orientation thérapeutique.
Mais l’entretien est dépendant du contexte dans lequel il est réalisé. La relation qui existe entre le thérapeute et le patient est influencée à la fois par des facteurs en rapport avec l’environnement matériel (lieu, position des interlocuteurs…) ainsi que par les caractéristiques propres des personnes. De nombreux biais culturels, à travers les notions de transfert et de contre-transfert peuvent donc survenir et perturber la relation d’évaluation. Aussi, dans un souci de prudence et quelle que soit la situation rencontrée, on peut d’ores et déjà énoncer avec Lachal (2003), une règle de base qui recommande que « lorsqu’une évaluation conduit à diagnostiquer un trouble, un dysfonctionnement, il est bon d’en recevoir confirmation de la part des membres de la communauté avec laquelle on travaille ». C’est dans cette optique que nous recommandons alors un travail en binôme, impliquant un psychologue de la culture du pays et un psychologue étranger.
- L’adaptation de tests
Même si la psychométrie sera souvent d’une grande aide pour le clinicien dans sa pratique, tout psychologue peut facilement concevoir qu’on ne pourra pas directement utiliser un test dans une autre culture que celle où le test a été développé et adapté. Pour contourner cette difficulté, la question de l’adaptation d’un ou plusieurs tests à la culture rencontrée se posera forcément au psychologue clinicien pratiquant à l’étranger.
Pour une pratique psychométrique interculturelle, l’adaptation semble être l’une des solutions les plus économes. Comme le rappelle Sireci (1999), « il peut être plus efficace d’adapter un test déjà existant que de développer de nouveaux tests dans l’autre langue : la rédaction, la révision, la mise à l’essai des tests prennent beaucoup de temps et nécessitent beaucoup d’effort ».
L’adaptation d’un test se situe, d’après Laveault et al. (2002), entre « la simple traduction et la création de tests. La traduction ne se préoccupe pas de l’effet de la transposition de question d’examen dans une autre langue sur la mesure des habilités. La création consiste à développer simultanément des versions similaires de tests dans les deux langues en se fondant sur un certain nombre de règles à respecter ».
Ainsi, l’adaptation d’un test demandera un travail d’ajustement entre la base originelle du test et la culture dans laquelle il va être utilisé. Pour Hambleton (2005), « l’adaptation d’un test comporte plusieurs décisions qui consistent d’abord à déterminer si le test pourrait mesurer le même concept dans une culture et une langue différentes, puis à choisir les traducteurs et les modifications à apporter à la préparation du test qui doit être utilisé dans une autre langue, jusqu’à, en fin de processus, adapter le test et à vérifier son équivalence dans la version adaptée ».
Mais le psychologue-chercheur risque toujours selon Hambleton (2005), de rencontrer trois grandes catégories de sources d’erreur et d’invalidité liées à l’adaptation des tests :
- les différences linguistiques et culturelles
- les problèmes techniques et les difficultés méthodologiques
- l’interprétation des résultats
Aussi, ce rapport entre validité d’évaluation et base culturelle a été théorisé par Jensen (1980) qui a introduit le concept de bornes culturelles d’un test ([cultural reducedness]) qu’il défini comme la « distance culturelle sur laquelle un test conserve en grande partie les mêmes propriétés psychométriques de fidélité, validité, de corrélation item-total et d’ordre de difficulté des items ». La création d’un nouveau test sera alors préférable lorsque la distance culturelle est telle que l’adaptation est impossible ou rendue excessivement difficile.
- Le ré-étalonnage de tests
La possibilité de ré-étalonner une épreuve s’ouvre au psychologue dans la mesure où il a un accès direct à une population nombreuse. Les conditions pour une nouvelle standardisation sont rigoureuses car elles demandent à la fois un certain effectif et l’utilisation d’une méthode statistique précise pour conserver les facteurs de fidélité, validité et sensibilité du test. Dans la plupart des cas, l’échantillon testé devra, pour être représentatif de la population, se distribuer selon la courbe de Gauss pour satisfaire à une probabilité qui sera dite normale. Le nouveau ré-étalonnage apportera, si il est effectué dans de bonne conditions, une nouvelle allure à la courbe, qui tout en conservant sa forme « en cloche » adoptera une nouvelle moyenne ainsi qu’un nouvel indice de dispersion.
Ionescu (1991) répertorie cinq dimensions majeures, indispensables pour une utilisation d’un instrument d’évaluation diagnostique dans un nouveau contexte culturel :
- l’équivalence des contenus
- l’équivalence sémantique
- l’équivalence technique
- l’équivalence de critère
- l’équivalence conceptuelle
Aussi, par rapport à un étalonnage, il faut souligner le fait que dans de nombreux pays du Tiers-Monde, ou « en voie de développement », la population est rarement homogène au niveau du développement et de l’éducation. Ainsi, « comment utiliser une standardisation commune pour un enfant scolarisé dans la meilleure école privée de Beyrouth et un enfant venu d’une banlieue déshéritée de la ville ? » (Mansour, S. (1993). p. 277). Les différences de niveau de vie existant entre la campagne et les villes, et entre certains quartiers d’une même ville, font que pour une population du même âge, il est extrêmement difficile d’établir une moyenne pour répartir ensuite les niveaux de performance.
- L’utilisation de tests « culture-free »
Bien que certains affirment que ce genre de tests n’existent tout simplement pas car un sous-entendu culturel persiste toujours dans la performance ou dans la passation (Dasen, 1993), il existe néanmoins des épreuves qui limitent l’influence culturelle. On pense alors aux tests de « raisonnement pur », mesurant l’aptitude générale fluide, saturés en facteur G qui ne font pas ou peu appel aux connaissances ou savoir-faire culturels. Parmi ceux-ci, on peut citer entre autres, les Culture Fair Intelligence Tests de Cattell (CFIT, appelés CAT en France), les Matrices Progressives de Raven ou encore certains items du K-ABC ou des épreuves de Wechsler. Ces tests devront bien entendu être manipulés avec beaucoup d’attention et leur utilisation fera l’objet de la plus grande prudence. C’est seulement dans ces conditions qu’ils pourront apporter au praticien désirant établir un diagnostic de précieuses informations.
Le cas des épreuves projectives est assez semblable à celui concernant l’évaluation de l’intelligence. La plupart des tests utilisés en Occident renvoient tôt ou tard à des références culturelles. L’arbre, le bonhomme ou la famille ne seront pas, on l’imagine aisément, les mêmes en France, au Vietnam ou au Niger. Les résultats seront donc biaisés si le dépouillement et la cotation ne sont pas spécifiquement adaptés à la culture. Le TAT et le Rorschach s’inscrivent dans cette même idée. Pourtant, ces tests peuvent malgré tout, avec la même prudence dont il était question dans le paragraphe précédent, renseigner le clinicien sur l’imaginaire du sujet. Ces épreuves d’évaluation ne sont donc pas à exclure de la consultation interculturelle, bien au contraire. Elles représentent des outils qu’il faut savoir manier avec soin car elles auront, nous le verrons, le potentiel d’améliorer le diagnostic.
- La construction d’outils spécifiques
Que ce soit pour évaluer l’impact des situations de guerre ou de catastrophe, ou estimer des états de stress post-traumatique, la construction d’outils d’évaluation des troubles psychologiques est de plus en plus fréquente dans les missions humanitaires (Voir Mouchenik, Y., Bélanger, F., Baubet, T., Godain, G. et Moro, M.R. (2003). Comme nous le rappellent Laveault et al. (2002), « la construction d’un test en psychologie ou en éducation est un processus de longue haleine » et implique d’après Huteau et al. (1997), de nombreuses étapes et de respecter différents critères de standardisation, validité, fidélité et sensibilité. Elle consiste souvent à imaginer et développer l’outil, l’étalonner mais également à repenser totalement les conditions de passation... En effet, il est courant que dans certaines cultures « c’est la situation de test qui biaise les résultats dès le départ et rend donc relativement caduque la réflexion sur la construction d’un nouvel outil. Pour ces enfants, avant même de trouver ou non étrange le matériel du test, ce qu’ils trouvent étrange est cette relation duelle à l’adulte qui n’entre dans aucune des catégories connues par exemple : l’adulte est celui avec lequel on développe une relation affective (les parents) et/ou d’autorité (les enseignants) mais certainement pas celui qui l’aide à construire une tour avec des cubes, qui l’encourage à exprimer sa parole, son désir, à se poser comme sujet » (Mansour, S. (1993). p. 278).
La création d’un nouvel outil d’évaluation demande alors de déterminer de multiples critères. Ainsi, « le concepteur d’un test a deux décisions importantes à prendre : établir le contenu du test et en déterminer la forme. Il doit d’abord pouvoir dire quels sont les buts du test, comment il projette de l’utiliser et à quelle clientèle il est destiné » (Bernier, J.L. et Pietrulewicz, B. (1997). p. 231). Devront donc être définis : le type de test (de niveau, de personnalité, de performance…), son support (papier/crayon, oral…), son mode d’administration (individuel ou collectif…)… Peuvent également se mettre en place au sein de programmes d’aide psychologique, des activités ludiques ou différents types de travaux qui auront la fonction d’investiguer tel ou tel aspect de la personnalité. Ainsi, comme Winnicott le faisait avec le squiggle, le clinicien peut jouer avec les enfants pour affiner son diagnostic. Mukuna (1993), utilise un jeu de stratégie « le Tshisolu (…) une forme de jeu Mancala qui se joue au Moyen-Orient (Palestine, Turquie, Inde, Iran, Irak…), en Extrême-Orient (Indonésie, Philippines, Chine) et en Afrique, bien sûr » pour évaluer cliniquement la fonction déductive de ses patients.
Rérérences:
Bernier, J.L. et Pietrulewicz, B. (1997). La psychométrie. Montréal : Gaëtan Morin Editeur.
Dasen, P.R. (1993). L’ethnocentrisme de la psychologie. In : Rey-von-Allmen (Eds). Psychologie clinique et interrogations culturelles. Paris : L’Harmattan.
Hambleton, R.K (2005). Issues, designs, and technical guidelines for adapting tests in multiple languages and cultures. In Hambleton, R.K et al. (Eds). Adapting educational and psychological tests for cross-cultural assessment. Routledge.
Huteau, M. et Lautrey, J. (1997). Les tests d’intelligence. Paris : Collection Repères La Découverte. .
Ionescu, S. (1991). Quatorze approches de la psychopathologie. Paris : Nathan.
Jensen, A.R. (1980). Bias in mental testing. New-York: Free Press.
Lachal, C. (2003). Mettre en place une mission de soins psychologiques. Pourquoi ? Quand ? Comment ? In Baubet T, Le Roch K, Bitar D, Moro MR. (Eds) Soigner malgré tout. Vol. 1 : Trauma cultures et soins. Grenoble : La Pensée sauvage.
Laveault, D. et Grégoire, J. (2002). Introduction aux théories des tests : en psychologie et en sciences de l'éducation: En psychologie et en sciences de l'éducation. Louvain-la-Neuve : De Boeck Université.
Mansour, S. (1993). Le psychologue et la dimension politico-culturelle : expérience au Liban et à Paris. In Rey-von-Allmen, M. (Eds). Psychologie clinique et interrogations culturelles. Paris : L’Harmattan.
Mouchenik, Y., Bélanger, F., Baubet, T., Godain, G. et Moro, M.R (2003). Identification de troubles post-traumatiques chez les jeunes enfants refugies. In Baubet, T., Le Roch, K., Bitar, D. et Moro, M.R. (Eds). Soigner malgré tout, tome 2. Paris : La pensée sauvage.
Mukuna, T. (1993). Le psychologue face aux enfants, aux jeunes et aux familles de cultures différentes. In Rey-von-Allmen (Eds). Psychologie clinique et interrogations culturelles.. Paris : L’Harmattan.
Reveyrand-Coulon, O. (1993). L’empathie débusquée. Chercheur, psychologue, anthropologue dans une autre culture. In Kiss, A. (Eds). L’empathie et la rencontre interculturelle. Paris : L’Harmattan.
Sipos, J. (1998). L’entretien diagnostic. In Cyssau, C. (Eds). L’entretien en clinique. Paris : Press Editions.
Sireci, G.S. (1999). Using bilingual to evaluate the compatibility of different language versions of test. p. 2 In Hambleton, R.K et al. (2005). Adapting educational and psychological tests for cross-cultural assessment. Routledge.
c) La prise en charge thérapeutique
La mise en place d’un programme thérapeutique est souvent l’un des principal objectif d’un projet de santé mentale. L’aspect des soins psychologiques, qui est au centre du dispositif, est souvent l’étape qui concrétise le changement et qui permet de remplir concrètement les objectifs de soins. Aussi, établir ses modalités de fonctionnement est sans aucun doute l’une des tâches les plus importantes et les plus difficiles pour le ou les responsables du projet.
La prise en charge thérapeutique dans un contexte interculturel, tout comme la situation de diagnostic précédemment abordée, renvoie le clinicien à s’interroger sur l’efficacité de ses méthodes et de ses outils thérapeutiques occidentaux. En effet, la différence culturelle peut modifier l’applicabilité de certains principes habituellement admis dans nos pays. On peut par exemple se demander si la recherche de catharsis est adaptée à certaines cultures, ou encore si la position de « neutralité bienveillante » du thérapeute d’orientation analytique peut-être recommandée universellement. D’un point de vue personnel, nous avons remarqué, lors d’un stage effectué au Vietnam en 2002, la difficulté de certains praticiens vietnamiens à mettre en application dans leur pratique, des théories gestaltistes centrées sur les émotions (Voir Froidure, C. et Bosc, N. (2002)). On peut alors s’interroger sur la plus ou moins bonne compatibilité de telles ou telles approches dans certains pays compte tenu de leurs références culturelles.
Toutefois, parallèlement aux types d’outils utilisés, nous avons vu que nous retrouvons dans la plupart des centres d’aide psychologiques développés au sein de missions humanitaires ainsi que dans plusieurs CMP ou CMPP de Paris et sa région, un modèle commun de prise en charge inspiré par les théories analytiques. En effet, cet espace est souvent utilisé pour offrir « un temps vital pour l’élaboration psychique. Un temps où l’individu peut cesser d’être dans l’action, dans la survie ; un temps où il devient possible de prendre de la distance avec la réalité extérieure, et de se centrer sur sa propre réalité psychique. C’est dans cet espace contenant, que la personne pourra intégrer les ruptures subies » (Montagut, M. (2003). p. 81). La consultation psychologique est souvent conçue comme un lieu où tout est prévu pour pouvoir « déposer et transformer peu à peu [le] vécu psycho-traumatique » (Rouby, P. (2003). p. 197), « remettre du lien et du sens quand tout est désorganisé » (Drogoul, F. (2003). p. 144.), permettre au sujet se « repérer à travers la singularité de son histoire » (Raimbault, G. et Zygouris, R. (1991). p. 166) pour qu’il puisse se réconcilier avec « lui-même, son passé et son présent sans quoi son avenir restera inabordable » (Le Roch, K. et Godain, G. (2003). p. 134).
Cette approche, fortement influencée par la psychanalyse, semble être la plus utilisée dans les structures humanitaires, donc dans des milieux possédant des repères différents de ceux existants en Occident. Montagut (2003), explique par exemple sa pratique à Gaza en concluant son article par une métaphore qu’on pourrait qualifier de « freudienne » : « les effets du traumatisme peuvent se représenter comme une crypte ou un gouffre, aspirant, empêchant toute possibilité de reconstruction psychique, et qui empêche de penser le présent et l’avenir. C’est un événement ingérable qui est à la fois dedans et dehors, qui n’appartient pas à l’histoire de l’individu, mais vient se déposer dans le psychisme comme quelque chose d’incompréhensible, d’étranger et donc d’extérieur. Il s’agit d’accueillir et d’accompagner, d’être suffisamment contenant pour pouvoir revenir avec le patient sur l’événement traumatique, de « fissurer » en quelque sorte cette crypte. Ne pas la laisser comme un bloc étranger à l’intérieur de soi, mais replacer l’événement dans l’histoire du sujet, en restituant ce dernier dans sa filiation, pour lui donner les possibilités de se le réapproprier. Et cela, c’est déjà du soin ».
Selon Bertrand (2001), au sein du cadre interculturel, le patient présente, un récit subjectif, influencé culturellement et affectivement. « En tant qu’ethno-psychologue, c’est en fait, moins aux événements que s’intéresse notre écoute qu’à la manière dont le sujet se situe par rapport à eux (…) et dont il se décrit dans son histoire de vie (…). Chacun introduit son histoire à sa manière, telle qu’il l’a vécue, mais aussi, telle qu’il l’imagine ou souhaite que nous l’entendions ».
Mouchenik (2003) résume son action en Macédoine par ces mots : « si on me demande ce que nous avons fait ensemble, je répondrai, nous avons parlé et pleuré. Si les premières larmes ont entraîné des excuses de leurs auteurs, j’ai rapidement mis des mouchoirs en papier à disposition avec les précisions suivantes ; les paroles et les larmes sont un bon facteur d’aide et de soutien. La douleur et les larmes exprimées avec les paroles [représentait] une liaison des mots et de l’émotion, des affects et des représentations ».
A travers ces témoignages, on peut alors penser que quelle que soit la culture, ce type d’approche pourra avoir des effets bénéfiques sur les patients. Il faut toutefois souligner le fait que dans ce type de cas, le cadre interculturel devra suivre certaines règles particulières.
Dans tous les types d’approches, le cadre (ou setting) est un élément essentiel de la thérapie. Il est habituellement défini par le thérapeute en collaboration avec le patient et concerne le lieu, la durée et l’attitude technique qu’adoptera le praticien face au patient. Le cadre aménage « le terrain de rencontre avec l’autre » (Fridman-Wenger, M. (1993). p. 341), et doit habituellement rester le plus constant possible. Sa permanence assurera au patient une stabilité grâce à laquelle il pourra exprimer son histoire et sa personnalité en toute confiance et en toute sécurité.
Le cadre thérapeutique, celui de la consultation, est d’abord un espace d’écoute et de parole. Il doit contenir le sujet dans la reconstruction souvent douloureuse de son expérience personnelle, ou dans des certaines situations, l’histoire de sa famille ou de sa communauté. Pour cela, « qu’il s’agisse de groupes de parole, de séances de relaxation, d’activités ludiques et culturelles ou médiatisées par le dessin, d’approches plus individuelles : ce qui compte c’est l’accueil, une certaine qualité d’ambiance, qui permette la rencontre et « l’apprivoisement » de la personne en souffrance » (Drogoul, F. (2003). p. 144).
Ainsi, « soigner, c’est être proche des gens » (Le Roch, K. et Godain, G. (2003). p. 137), mais cette relation doit être contrôlée. Nous avons vu l’importance de l’empathie dans la relation interculturelle. Elle joue ici un rôle primordial car, associée à l’utilisation de techniques thérapeutiques, elle aidera le patient, nous le verrons, à approfondir son introspection. Mais « l’empathie ne suffit pas : il faut trouver la bonne distance (pas celle de l’évitement anxieux ou du collage dépressif), être disponible et vigilant » (Drogoul, F. (2003). p. 145). La relation duelle qui se mettra en place sera influencée par l’image que chacun aura des caractéristiques sociales de l’autre (origines culturelles, âge, sexe, niveau économique, situation professionnelle, etc…) (Voir Blanchet, A. (2000). pp. 91-95). Pour établir une bonne dynamique de fonctionnement, il faut donc penser les modalités d’accueil, proposer un plan de prise en charge, expliquer son fonctionnement, aménager l’espace… et tous ces éléments sont très dépendants de l’environnement et des origines culturelles du thérapeute et du patient.
Une stricte application d’un cadre occidental est donc impossible du fait des différences de représentations qu’ont le thérapeute et le patient. Comme le pense Nathan (1986), « pour ce qui concerne le setting proprement dit, il n’existe pas de règles propres aux psychothérapies métaculturelles, seulement des tendances ». Il faut adapter le cadre à la culture rencontrée, comme une « négociation » entre thérapeute et patient pour établir « un cadre métissé dans lequel chaque élément du matériel peut être interprété selon l’une ou l’autre logique ». L’objectif est donc, en fonction des différentes variables culturelles, de permettre au thérapeute d’ « instaurer un cadre cohérent à sa propre personne et au mode d’approche qu’il maîtrise, tout en permettant au patient l’expression d’une souffrance ».
Les questions pratiques sont ici les suivantes : « Comment inviter nos consultants étrangers à parler ? Avec quels mots ? Comment leur permettre de parler ? Comment relancer la parole ? Comment éviter de faire obstacle à leurs paroles ? » (Voir Chabanne, M. (1989). Cité in Ortigues, M.C. (1993). p. 267). Pour tenter de répondre à ces nombreuses questions et proposer une orientation qui s’appliquerait à notre projet, nous nous sommes appuyés sur des expériences de la psychiatrie humanitaire et de la clinique ethnopsychopathologique.
Que la situation soit aiguë ou plus constante, les missions humanitaires appliquent des programmes de prise en charge qui se découpent en plusieurs étapes. Le modèle de ces programmes, et les techniques qui y sont pratiquées, s’inspirent de différentes théories psychologiques classiques (psychanalytiques, cognitivo-comportementales, familiales…), et ont été adaptées pour être utilisés avec des personnes souffrant psychiquement dans différents contextes (guerres, catastrophes naturelles, crise économique, épidémies, famines, pauvreté…). Il s’agit donc de modèles adaptables et suffisamment souples qui permettent de proposer une approche clinique et une méthodologie pratique.
- Différentes modèles
Selon Daubègre (2003), le travail thérapeutique peut généralement se résumer en trois temps différents :
- la première phase s’attache au récit des évènements traumatiques et à l’expression des affects,
- la deuxième phase consiste à reconstituer l’enveloppe psychique pour ramener une sécurité de base,
- la dernière phase tend à amener le patient à réinvestir son environnement.
Pour Lachal (2003), l’intervention psychologique en milieu interculturel doit intégrer les cinq buts « classiques » d’un programme de santé mentale. « Ces objectifs sont les suivants :
- consoler, par un travail de groupe, dans la communauté, impliquant présence, échanges, empathie, prévention parfois ;
- soigner selon des techniques adaptées à chaque contexte ;
- former par compagnonnage et par d’autres types de formation, plus « académiques » ;
- témoigner (...)
- et enfin évaluer ».
Nous voyons à travers ces objectifs que la relation thérapeutique entre le praticien et le patient s’articule autour de deux points principaux : consoler et soigner.
Nous pouvons considérer que le fait de « consoler » de Lachal (2003) rejoint la première phase du découpage de Daubègre (2003). Le terme « consoler », qui est assez inhabituel en psychologie, renvoie surtout le patient à prendre conscience de son traumatisme et à le revivre afin de prendre de la distance avec lui. La place du thérapeute est ici centrale car son rôle est d’identifier et nommer le conflit. « Nommer, c’est reconnaître le mal, l’extérioriser d’une relation souvent banale dans laquelle se trouve pris l’homme. C’est créer avec la victime une alliance qui la restitue au sein du patrimoine humain. (…) Il est possible à l’homme blessé de se reconstruire une identité si nous l’aidons à reconnaître la part blessée de sa personnalité » (Aiguesvives, A. (2003). p. 189).
Dans la deuxième phase, le clinicien s’attache à ce que le patient retrouve la part de son identité qui lui est propre. Souvent dans les situations pathologiques, certains aspects de la personnalité des sujets se modifient et brouillent leurs repères. Ils voient ainsi leur fonctionnement parasité par des conflits intra-psychiques qui les empêchent d’évoluer librement. Le travail du clinicien est donc ici de permettre au sujet de s’introspecter, de prendre conscience de la situation dans laquelle il est, et d’identifier avec lui des solutions acceptables.
La troisième étape est l’application concrète de la deuxième. Il s’agit de rendre possible « le réinvestissement de la vie : l’imaginaire, le symbolique, la transmission » (Daubègre, C. (2003). p. 98). Pour réaliser ces différentes étapes, le clinicien dispose d’outils qui permettront d’enrichir l’échange et favoriseront le travail thérapeutique.
La littérature américaine propose certains « outils d’appréciation culturels » ([cultural assessment tools]) sous forme de modèles mnémotechniques.
On retrouve l’approche « ETHNIC » de Levin et Gottlieb (1998) :
- Explanation | Explication du problème/situation par le patient ; |
- Treatment | Traitement ou remède-maison [home remedies] utilisés et traitements attendus ; |
- Healers | Soignants et autres non-professionnels chez qui le patient est allé chercher de l’aide ; |
- Negotiation | Négociation d’options mutuellement acceptables ; |
- Intervention | Intervention prenant en compte les croyances et les pratiques du patient ; |
- Collaboration | Collaboration avec le patient, sa famille, les soignants et les ressources communautaires ; |
Le modèle « LEARN » de Berlin et Fowkes (1982) :
- Listen | Ecouter les perceptions du patient à propos de son problème ; |
- Explain | Expliquer votre point de vue du problème (en tant que gestionnaire de cas [case manager’s]) ; |
- Aknowledge | Reconnaitre les différences et les similitudes entre ces deux points de vue ; |
- Recommend | Recommander des options impliquant le patient ; |
- Negociate | Négocier un plan de traitement acceptable mutuellement ; |
Le modèle « BATHE » de Stuart et Lieberman (1993) :
- Background | Contexte (Que ce passe-t-il dans la vie du patient ?) ; |
- Affect | Affect (Comment le patient se sent par rapport au problème/situation ?) ; |
- Trouble | Problème (Qu’est ce qui gène le patient dans cette situation ?) ; |
- Handling | Conduite (Comment le patient gère le problème/situation ?) ; |
- Empathy | Empathie (Assurer un support empathique au patient) ; |
Ces différents modèles apportent alors différentes approches visant principalement à favoriser l’échange tout en respectant les représentations du patient en cherchant à obtenir sa propre perception de son trouble et des solutions qui lui sembleraient acceptables.
- L’approche intégrative
Les nombreuses approches de la psychopathologie et les modèles thérapeutiques qui y sont associés, font que l’une des difficultés, et non la moindre, peut être de choisir celle qui fera référence au sein de l’équipe.
On sait que, « les psychologues et les psychiatres sont tellement divers dans leur conception des troubles psychiques et des traitements qu’il n’est pas possible de construire des guidelines, des méthodes standardisées (…) » (Lachal, C. (2003). p. 35). Ionescu (1991) a répertorié quatorze approches différentes de la psychopathologie, dont la majorité se répartit dans les trois conceptions principales de la maladie mentale : les modèles biologique, psychologique et sociologique. Les thérapies associées à ces modèles ont des caractéristiques très différentes les unes des autres. On accepte généralement l’idée qu’il existe actuellement dans le monde près de quatre cents formes de psychothérapies (Moro, M.R. et Lachal, C. (1996). p. 7). Elles instaurent chacune des règles spécifiques, sont de durée plus ou moins longue, agissent sur tel ou tel aspect de la personnalité, mettent ou non en jeu le corps du sujet, sa famille, son histoire…
L’étude du développement de centres de psychologie dans des cultures qui ne sont pas forcément inspirées des conceptions et théories occidentales, soulève la difficulté d’application des différents modèles existants.
Alors quel(s) modèle(s) choisir et quels sont ceux à éliminer ? Il nous paraît impossible de répondre à cette question, comme il nous semble que les querelles d’écoles qui peuvent exister dans nos pays, n’ont d’intérêt que, comme le dit Ionescu (1991), pour les « partisans des débats acrimonieux, les passionnés des oppositions binaires et des guerres idéologiques stériles ».
Ainsi, compte tenu du respect pour différentes écoles de psychothérapies, il nous semble souhaitable de privilégier une approche intégrative et offrir au centre et aux différents cliniciens la possibilité de développer les pratiques qu’ils jugeraient utiles. Tout d’abord, cela offre une certaine souplesse dans la pratique clinique qui nous paraît indispensable dans un contexte interculturel. La psychologie étant souvent naissante dans ce type de pays, il s’agit de préserver toute possibilité d’évolution future. Favoriser fortement tel ou tel courant et restreindre tel autre risquerait d’influencer le développement de la psychologie selon des conceptions occidentales, parfois personnelles, et nuirait certainement à la libre-évolution des pratiques qui devraient se réaliser selon les réalités du terrain et la diversité de conceptions des cliniciens. Enfin, cela permet de « garder en mouvement continu une réflexion qui ne doit pas se figer et s’isoler » (Chambon, O. et Marie-Cardine, M. (1999). pp. 2-3) en permettant au clinicien d’« utiliser de manière créative le plus grand nombre des possibilités » (Chambon, O. et Marie-Cardine, M. (1999). pp. 2-3). Lachal, psychiatre « humanitaire », dit lui-même vouloir « proposer un large éventail de techniques et d’approches qui seront susceptibles d’intéresser la culture donnée ».
Cette approche intégrative invite donc à profiter des techniques issues des différentes écoles. Bien sur, cette démarche n’est pas indépendante d’une réflexion sur l’éclectisme et l’intégration des approches. L’objet n’est pas ici de développer en détails les modalités pratiques de ce type de thérapie, mais il nous semble en revanche important d’aborder brièvement quelques techniques d’entretien.
- Une approche directive ou semi-directive en situation interculturelle ?
Comme nous l’avons présenté lors de l’entretien diagnostic, on peut s’interroger sur le type de directivité à employer lors de consultations interculturelles. Sans espérer trouver une réponse définitive, nous présentons ici les avantages et inconvénients qui nous paraissent se rapporter à chacune des approches.
L’approche semi-directive
Dans ce type d’entretien, « plus le niveau de liberté sera grand, plus les réponses seront riches et complexes » (Castarède, M.F. (1983). p. 125). Le thérapeute doit donc aménager un cadre offrant un maximum de liberté au patient. Avec le souci d’être le moins directif possible, le thérapeute va dans ce cadre, utiliser des relances non-suggestives qui éviteront tout effet intrusif pour le patient et éviteront ainsi un éventuel blocage (Voir Blanchet, A. (2000). pp. 98-115). Comme l’interviewer dans l’entretien de recherche, le thérapeute doit savoir que « les interventions qui lui viennent à l’esprit ne sont pas toutes bonnes à dire et qu’il doit sélectionner, parmi elles, les plus pertinentes par rapport au contrat » (Blanchet, A. (1992). p. 47). On sait que le discours du patient est constitué par deux caractéristiques apparentes de linéarité et de structuration : « linéaire parce qu’il tend à être continu dans son enchaînement et à consister en un tout cohérent apparemment non interrompu dans sa construction thématique (…) [et structuré] dans la mesure où il tend à répondre à ses propres questions » (Blanchet, A. (1991). p. 14). Des interventions mal utilisées peuvent nuire à la qualité de l’entretien, en risquant de « rompre la linéarité du discours ».
Au contraire, le thérapeute, grâce à des relances le plus neutre possible, respecte le fonctionnement du sujet, et évite d’imposer ses représentations culturelles. Il « paraît ne rien dire qui n’ait déjà été dit : il souligne, synthétise, reformule, demande une précision (…) » (Blanchet, A. (1992). p. 48). Ce cadre doit permettre de « laisser s’exprimer les différences, voire les oppositions, à accompagner chacun dans sa quête de sens, dans ses allers et retours, sans préjuger de ce qui lui conviendrait » (Ortigues, M.C. (1993). p. 268). Loin des polémiques, « il exclut donc que soient mis en discours, les rapports de force, de pouvoir, de rejet, etc.. susceptibles de s’établir entre les interlocuteurs » (Blanchet, A. (2000). p. 93). Le rapport entre thérapeute et patient doit être bienveillant. « Leurs modalités d’élaboration sont respectées autant que possible, les régressions et les reconstructions de leur personnalité sont accompagnées » (Rouby, P. (2003). p. 197).
Dans cette optique, on peut faire appel aux modèles développés par Rogers. On y retrouve les impératifs suivants (Citées in Castarède, P. (1983). p. 125) :
- accueil et non pas initiative
- être centré sur ce qui est vécu par le sujet et non sur les faits qu’il évoque
- s’intéresser à la personne du sujet, non au problème lui-même
- respecter le sujet et lui manifester une considération réelle (…)
- faciliter la communication (…)
Les reformulations amènent à « relever les ambiguïtés du discours et les zones d’incompréhension, elles montrent aussi que nous écoutons et que nous comprenons » (Bertrand, D. (2001). p. 21). Le questionnement, ouvert et progressif, a pour but d’éclaircir le discours, le renvoi des sentiments, ou « réponses en miroir », enrichi l’introspection. L’objectif est d’encourager les patients à « prendre la parole pour eux-même en ayant finalement l’impression d’en apprendre, dans ce qu’ils nous livrent » (Bertrand, D. (2001). p. 21).
Toujours dans la même démarche, proche de celle de l’écoute active, Moro (2003) recommande lors de prise en charge en milieu humanitaire de « faciliter l’élaboration d’expériences traumatiques à la première personne ; un récit subjectif et inscrit dans son contexte (familial, social, culturel, politique…) avec une temporalité qui dépend de chacun. Il n’y a en la matière aucune règle stricte : dès que possible mais au moment opportun pour chacun (ce peut-être tout de suite ou après une période longue de silence) ».
L’approche directive
Certains patients et certainement aussi certaines cultures pourront préférer, tout au moins lors des premiers entretiens par exemple ou à des moments spécifiques de la prise en charge être encadré par une approche directive faite de recommandations précises, d’incitations à développer tel ou tel point, et obtenir des réponses claires et engagées du clinicien.
Carl Rogers (2007) voit l’approche directive comme « caractérisée par de nombreuses questions très spécifiques auxquelles des réponses spécifiques sont attendues, et par l'information et l'explication donnée par le « counselor ». (…) Le « counselor » donne davantage l'occasion à son client d’exprimer ses attitudes sur des sujets spécifiques, et relève les problèmes du client qui seront en mesure d’être corrigées. Il clarifie, réaffirme ou reconnaît le contenu de ce que le client lui a dit. En s’appuyant sur les deux éléments de preuve et d'influence personnelle, il s'efforce d'apporter un changement en proposant de l'action au client qui est sensé l’appliquer ».
Aussi, Rogers (2007) apporte des remarques sur l’approche directive qui selon nous, semblent pouvoir coïncider pour un travail clinique avec des populations qui n’ont pas l’habitude du cadre de la psychologie clinique, de l’introspection, de l’autonomisation, du « développement personnel »…
L’approche directive « suppose que le conseiller sélectionne un but souhaitable et socialement approuvée que le client sera en mesure d'atteindre, et qu’il dirige ensuite ses effort à aider le patient à l’atteindre. Une conséquence implicite est que le conseiller apparait comme supérieur au client, puisque celui-ci suppose d'être incapable d'accepter la responsabilité complète pour le choix de son propre but ». Ainsi, le « point de vue directif accorde une grande importance à la conformité sociale et au droit du plus apte à diriger le moins apte. Les points de vue ont alors autant une relation significative avec la philosophie sociale et politique qu’avec des techniques de thérapie ».
Enfin, Rogers (2007) conclut son article « l’approche directive tend à concentrer son effort sur le problème que le client présente (...) L’approche non-directive met l'accent sur le client lui-même, et non sur le problème ».
Ces idées de « objectifs socialement acceptables », « d’accompagnement du patient vers des objectifs définis » et de « position supérieure du thérapeute par rapport au patient »… sont alors des conceptions qui pourront peut-être choquer certains psychologues occidentaux qui mettront en avant la neutralité bienveillante du clinicien et le libre-choix du patient comme règles fondamentales de leurs pratiques, toutefois, dans certains pays et cultures largement dominées par un aspect communautaire, nous pensons que dans un grand nombre de cas, les patients pourront aller consulter un clinicien de santé mentale en attendant d’être dirigés et d’obtenir des réponses concrètes à leurs interrogations.
Dans ces situations, on peut alors penser qu’ils sont bien souvent à la recherche de repères et en demande de moyens pour réintégrer les situations communes. Aussi, la position du clinicien est bien souvent perçue dans ce type de sociétés comme « celui qui sait » et hiérarchiquement valorisé ce qui n’entrainera pas forcément de frustration si le clinicien se positionne comme celui qui dirige l’entretien et donne des conseils, bien au contraire… Nous voyons alors que se joue ici concrètement une rencontre entre deux conceptions et « philosophie sociale et politique » différentes.
Aussi, dans cette situation interculturelle, il nous semble que le psychologue étranger devra savoir se positionner parfois en tant que conseiller au sens de « counselor » et adopter quand il le faut une approche directive appropriée. Nous pensons alors qu’il s’agit ici d’un point que le clinicien devra personnellement évaluer selon la personnalité du patient, la culture dans laquelle il se trouve, le moment de la prise en charge… Enfin, citons qu’une certaine connaissance des réalités socioculturelles du pays et de sa scène de référence paraitront encore plus indispensables dans le cas de l’utilisation d’une approche directive.
- La prise en charge des enfants
Face aux enfants, il semble que la différence culturelle ait beaucoup moins d’impact qu’avec les adultes, en tout cas au niveau du transfert que peuvent avoir les enfants face au thérapeute. Le clinicien étranger, lui, devra toujours remettre en question ses représentations culturelles et se méfier des comportements ethno-centrés qu’il peut avoir.
Grâce au jeu, ou à d’autres médias comme le dessin, l’enfant peut facilement et librement mettre en scène son monde psychique. Jouer pour l’enfant est « un espace récréatif et créatif. L’enfant a la capacité de jouer avec rien ou pas grand chose. (…) l’enfant joue avec deux mondes, l’un fantasmatique et l’autre réel : le jeu organise un espace équilibré où l’imaginaire se trouve, selon les situations, séparé ou confondu avec la réalité extérieure. La survenue d’un traumatisme peut laisser une trace dans la psyché de l’enfant, souvenir séquellaire de son histoire qui va se rejouer dans la répétition dans des scènes ludiques. Le dessin occupe la même place que le jeu dans ce qu’il peut révéler de traumatique sur la feuille » (Grappe, M. (2003). p. 69).
Ainsi, avec l’enfant, on peut facilement utiliser le jeu ou le dessin pour construire un espace clinique, à vocation diagnostique ou thérapeutique. Dans les centres de soins humanitaires, est alors utilisé un matériel assez simple et universel comme des jouets représentant des personnes, des animaux, ou des objets familiers. « Le grand avantage de cet échange ludique est de mettre à distance les différences linguistiques entre les deux protagonistes, au profit d’une expression libre de l’imaginaire » (Grappe, M. (2003). p. 69). La plupart du temps, la prise en charge s’effectue sous forme de groupes composés d’une dizaine d’enfants d’âge scolaire équivalent et présentant des troubles post-traumatiques variés. « Le fonctionnement de ces ateliers empruntait à diverses techniques psychothérapeutiques de type groupe de parole, débriefing psychodynamique et art-thérapie » (Labaume, C. (2003). p. 114).
Enfin, face aux adolescents, il semble pour Valleteau de Moulliac et al. (2002) que trois règles fondamentales, qui peuvent avoir une portée universelle, soient particulièrement importantes à respecter :
L’adolescent doit être reçu et examiné en tête à tête : Cela ne veut pas dire que les parents doivent être exclus. Il suffit s’ils accompagnent l’adolescent, de leur demander de patienter dans la salle d’attente. Il doit exposer lui-même le motif de la consultation. Ils seront vus ensuite, avec son accord et sauf demande de sa part, en sa présence. Cette façon de procéder à le double avantage de montrer à l’adolescent que l’on s’intéresse d’abord à lui-même et de le réintroduire discrètement dans le cercle familial dont il a trop tendance à s’affranchir.
l’informer de son droit au secret professionnel : Le terme de confidentialité doit être utilisé : l’adolescent en comprend le sens et la portée. Il apprécie que le clinicien lui propose ce contrat sans qu’il ait besoin de le revendiquer. Dès lors, il sait qu’il peut se livrer aux confidences, qu’il ne sera pas trahi.
Aucune décision ne peut être prise sans son accord : Les décisions doivent être négociées en tête à tête. Lorsque les parents seront vus, en présence de l’adolescent généralement, les décisions leur seront annoncées de telle façon qu’elles ne puissent être récusées. Sans doute faut-il un certain tact car les parents ne sont pas habitués à abandonner une parcelle de leur autorité. Il faut leu présentées les choses comme réfléchies, mesurées… La formule « Nous somme convenus » est habituellement très bien acceptée.
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d) La traduction au sein du dispositif
Travailler avec une nouvelle culture implique inévitablement des questions qui renvoient à la langue. Nous verrons que dans ces dispositifs interculturels, les risques menaçant le jeu communicationnel ne sont pas uniquement liés à la dimension linguistique prise isolément, mais d’un ensemble de variables culturelles que bien souvent les interlocuteurs d’origine culturelle différente ne prennent pas spontanément en compte, et dont les traducteurs-médiateurs seront alors les responsables. La traduction, c'est-à-dire le fait de faire le lien entre le patient qui s’exprimera dans sa langue maternelle et le psychologue étranger d’une part, et le psychologue vietnamien et le psychologue étranger d’autre part qui assure la consultation en binôme, apparait alors particulièrement délicate.
Deux personnes qui ne partageront pas la même langue maternelle se verront immanquablement limitées dans leurs échanges. Au niveau linguistique ils rencontreront des difficultés pour communiquer, mais à un autre niveau la langue va également structurer la manière que le sujet aura de percevoir et de comprendre le monde. En effet, d’après les travaux de Klinerberg (1966), il est « vraisemblable qu'un individu né dans un milieu d'une culture spécifique pensera dans des termes en usage dans sa société, et que, par conséquent, la nature de sa pensée en sera affectée ».L’accès à certains mots, aux différentes nuances, à des sens symboliques qu’offrira la langue d’origine permettront à l’individu une autonomie de pensée, de description et de réflexion plus ou moins étendue par rapport à un individu d’une autre langue maternelle.
On voit donc ici, qu’en plus des difficultés liées au maniement de la langue, les caractéristiques intrinsèques de chaque langue risqueront elles aussi séparer encore un peu plus deux personnes de culture et de langue différentes. Nguyên Khac Viên (cité par Boussat et al. (1998)) s’interroge alors et met en garde : « Comment établir un pont entre les concepts de la psychologie moderne et ceux enracinés dans nos traditions et rodés par des siècles d'usage ? Il s'agit de ne pas créer ex nihilo des termes, des barbarismes qui ne parlent pas aux vietnamiens ». On pointe alors du doigt une difficulté particulièrement présente dans le domaine du management interculturel mais également en ethnopsychiatrie où on utilise un grand nombre de mots spéciaux, rares, précis. « C’est le problème des consensus sur des mots faibles. On est tous d’accord mais personne ne donne le même sens à ce mot. Ensuite, il y a des discussions techniques dans lesquelles on s’aperçoit que personne n’a compris la même chose » (Chevrier, S. (2000)).
Comme le rappelle Freud (cité par Tourn (1997)), la langue d’origine est, « celle en laquelle on a toujours vécu et pensé et qu’on ne pourrait jamais remplacer par une autre ». Sinatra (1998), écrit alors à propos de la « langue maternelle » qu’elle est « à l’origine de la structuration du sujet, car elle s’inscrit avant l’organisation langagière au niveau des racines sensorielles et corporelles du sujet. Autrement dit, elle fait référence à l’univers du rapport corporel à la mère et à tous les contenus perceptuels et émotionnels qui l’entourent ».
Aussi, faire appel à une langue autre que sa langue maternelle modifie souvent son vécu intérieur, son rapport aux mots, aux idées, aux représentations… qui peut devenir plus instrumental et moins ressenti. Parler une langue étrangère n’empêche alors pas de rencontrer des problèmes de communication qui peuvent être rencontrés puisque, à partir d’un même mot, le sens qui lui est donné pourra varier fortement en fonction de l’interprétation qui en est faite. Aussi, à travers une traduction, dans l’organisation d’une phrase ou par rapport à une expression, des différences d’approches ou de conceptions pourront avoir un impact sur la compréhension, et amener, sans que les interlocuteurs s’en rendent compte des divergences.
Parfois, en milieu interculturel, le patient va avoir le choix de pouvoir s’exprimer à travers plusieurs langues ; sa langue maternelle, et une langue commune avec le clinicien : soit la langue maternelle du clinicien ou encore une langue intermédiaire que le patient et le clinicien parleraient sans que ça soit pour aucun des deux leur langue maternelle. Mais l’important pour la très grande majorité des praticiens en ethnopsychiatrie (Devereux, Moro, Nathan, Laplantine …) est que le patient ait toujours la possibilité de s’exprimer dans sa langue maternelle. Ensuite, l’accès à plusieurs langues est possible et selon Moro (1998a) permettra au patient de faire varier sa « narrativité » : « le passage d'une langue à l'autre permet de faire varier le degré d'intimité entre les mots et les choses, entre les conflits et ses expressions, entre les conflits et leurs représentations et par conséquent permet l'émergence de mouvements subits, le contournement de résistances, l'éclosion d'espaces de transition ». Elle rajoute, Moro (2004b), que « pour parler des choses complexes, des choses du pays, de l’enfance, des conflits… il est parfois nécessaire de pouvoir le faire avec nuance, complexité, en utilisant des images, des connotations… Il faut pouvoir utiliser la langue qui s’y prête le mieux à ce moment-là et on ne le sait pas à l’avance. La possibilité de parler sa langue, ses langues - possibilité et non obligation - est un paramètre fort du dispositif transculturel ».
Aussi, nous ne pensons pas comme Tourn (1997) pour qui « il existe des situations qui appellent exclusivement la langue d’origine, qu’on ne peut pas traduire », mais si à notre avis tout peut se dire et se traduire, un travail d’ajustement culturel devra souvent suivre pour préciser le discours et le rendre intelligible. Ainsi, on peut penser que quand le patient ou le psychologue n’ont pas de langue maternelle commune, il est préférable que chacun puisse s’exprimer dans sa langue maternelle propre, et qu’une traduction-médiation de qualité vienne alors en complément.
La dimension du « code culturel » est particulièrement importante à prendre en compte quand on s’intéresse à la communication interculturelle. Parallèlement au code linguistique, qui correspond à la connaissance de la langue, le code culturel lui regroupera l’ensemble de l’échange symbolique que l’on peut retrouver entre deux personnes. D’après Battle (1998), le code culturel se manifestera autour de la communication verbale (choix du vocabulaire, construction des phrases, signification des mots…), la communication non-verbale (position du corps, gestes, expressions faciales, regard, mouvement des yeux, sourire, position et inclinaison de la tête, mouvements des mains, intonations de la voix, rythmes du discours, silences…), la communication conversationnelle (façon de mener une conversation, rôle joué par les individus dans le processus communicationnel, proxémie…) et rituelle (politesse)).
Ainsi la communication est hautement influencée par la culture, l’origine ethnique, les catégories de population… et chaque groupe possèdera un style de communication spécifique, verbal et non-verbal, qui pourra varier d’un groupe à l’autre. Lipiansky (1992) voit alors dans le codage culturel l’élément le plus influent dans la communication à tel point que « le code linguistique peut-être maîtrisé par des interlocuteurs porteurs de codes culturels distincts sans pour autant qu’ils puissent se comprendre ».
Dans le domaine de la psychologie, les différences de communication interculturelle apparaissent comme un point particulièrement délicat à gérer. « La communication interculturelle mêle intimement le passé et le présent, le réel et l’imaginaire, l’objectivité des codes et la subjectivité des regards » (Lipiansky, E.M. (1992)), or nous savons que chacun de ces points sont intimement dépendant de la culture et à l’histoire personnelle de chaque individu.
Par rapport à un travail clinique dans un milieu interculturel, il existerait alors plusieurs attitudes influencées par les codes culturels qui peuvent interroger le patient comme le clinicien : habitudes prises dans une conversation (principes d’initiation et principes d’arrêt d’une conversation), façon d’aborder les difficultés, gestion des silences, proximité ou distance entre les personnes, regard porté…
Aussi, en psychologie à travers l’observation clinique, l’apparence du patient et de ses moyens de communication sont particulièrement examinés et pris en compte au sein de la prise en charge, que ce soit, par exemple, pour l’établissement d’un diagnostic ou au niveau de la relation thérapeutique. Comprendre les différents codages est donc indispensable, mais pose souvent certaines difficultés quand patient et thérapeute ne font pas partie de la même culture.
Un même mot peut par exemple changer de signification différente en fonction de la façon dont il sera prononcé, du ton qui sera utilisé ou encore de l’expression du visage qui lui sera associé. Mattock et Hailstone (1999) montrent alors que le fait de sourire à de multiples reprises lors d’une intervention orale peut être perçu de multiples manières en fonction de la culture : en Scandinavie, pouvant être traduit comme un manque de sincérité ; au Japon, comme un signe d’embarras ; en Russie, comme un manque de rapidité de réflexion…
Si les codes culturels peuvent ainsi facilement échapper à l’étranger qui pourra avoir tendance à les réinterpréter et les modifier, nous imaginons alors les risques qui menacent le praticien en ethnopsychiatrie. Réinterprétés par le biais de l’ethnocentrisme qui aura tendance à imposer des préjugés et des stéréotypes que Devereux à travers le décentrement cherchera justement à limiter dans le travail clinique, des « manifestations culturelles » pourront conduire à des malentendus, des incompréhensions, des fausses interprétations des comportements et actions de l’autre qui sont d’autant plus complexes et difficiles à identifier que les interlocuteurs n’en sont généralement pas conscients.
Aussi, il apparait clairement que l’on ne peut pas comprendre les codes communicationnels dans un groupe sans avoir une connaissance des facteurs culturels et ethnologiques de ce groupe, facteurs qui sont intriqués dans l’histoire, la société, la politique, l’art… Aussi, en tant que clinicien, même en connaissant quelques unes de ces règles qui pourrons nous aider à choisir une conduire adéquate à tenir ou repérer une particularité qu’un individu exprimera par rapport à son groupe de référence, nous sommes risquons bien souvent de faire des erreurs, et le recours à un traducteur-médiateur ou un échange étroit en binôme avec un psychologue de la culture locale apparaissent comme indispensables.
Au regard de ces deux paragraphes, nous voyons que la communication interculturelle possède alors plusieurs pôles : linguistique mais également cognitif, affectif, culturel... Pour faire face aux difficultés de communication, un simple traducteur n’apparait donc pas suffisant car on négligerait alors de nombreux aspects de la communication. Dans cette optique, la dimension de la médiation apparait alors comme inévitable, et le traducteur-médiateur s’impose naturellement.
La médiation, largement développée par l’ethnopsychiatrie, propose alors un espace de rencontre entre des personnes d’origines différentes, et la construction d’un lien entre des univers culturels, assurant à la fois une traduction linguistique mais également un éclairage culturel. Dans ce cadre particulier, chacun peut alors exprimer sa façon d’interpréter la situation qui sera débattue sous un angle culturel, en cherchant à écarter tout biais ethnocentriques, ethnicistes ou encore liés à une catégorisation comme Lipiansky (1992) les a définis.
Le traducteur-médiateur apparait alors selon Denis (2004) comme « un passeur qui transmet le message d’une rive à l’autre. Il rend la rencontre possible en médiatisant la différence. Il est avant tout un espace intermédiaire, transitionnel, tant pour le réfugié que pour le thérapeute. L’interprète symbolise le semblable et le différent pour chacun d’eux ».
On retrouve alors ici la notion d’ « altérité » développée précédemment, altérité qui se retrouve particulièrement au niveau de la communication interculturelle, entre le patient et le traducteur mais évidemment aussi entre le psychologue étranger et le patient. Dans l’optique que « toute tentative véritable de communication interculturelle peut apparaître comme une démarche paradoxale. Elle suppose que celui qui s’y engage reconnaisse l’étranger à la fois comme semblable et comme différent » (Lipiansky, E.M. (1992)), le clinicien étranger devra justement être épaulé pour pouvoir identifier et comprendre cette différence mais également les similitudes qui pourront être dissimulées derrière un codage culturel particulier.
Aussi, le traducteur-médiateur, contrairement au simple traducteur, se devra parfois de modifier le discours qu’il entend en tenant compte des codes culturels : pour Pury (1992) « « Traduire » ne saurait être redire la même chose dans une autre langue (…). Traduire est alors dire : « produire un nouveau discours qui n’aurait jamais vu le jour hors la situation de traduction » ». Moro (2004b) donne ainsi un exemple, « si une maman dit « on n’est pas seul au monde », il traduira littéralement et il dira « la maman fait allusion au fait qu’il y a aussi un monde invisible » et qu’il faut donc aussi chercher du côté de ce qui ne se voit pas ».
Le traducteur-médiateur apparait donc comme un personnage essentiel pour la mise en place de l’alliance thérapeutique et la conduite de la prise en charge, et prendra une place entière au sein du travail clinique. Ainsi, pour le bon déroulement de la thérapie, la position du traducteur-médiateur ne sera pas seulement de s’effacer derrière l’acte de la traduction, il devra s’impliquer personnellement et laisser apparaître un degré nécessaire d’interprétation qui ne pourra s’exprimer qu’après une formation spécifique au travail clinique interculturel.
Les qualités recherchées s’organiseront alors autour de deux axes : une bonne maîtrise de la langue maternelle du psychologue étranger, et en particulier des termes de psychologie clinique, ainsi qu’une attitude clinique envers le patient impliquant des connaissances théoriques ainsi qu’un savoir-être approprié (empathie, congruence, observation…). Aussi, tout comme avec les psychologues, nous proposerons d’appliquer le même dispositif aux traducteur-médiateurs : formation et suivi, ainsi qu’une évaluation régulière pour identifier et tenter de solutionner les difficultés qu’ils sont susceptibles de rencontrer au cours de leurs pratiques.
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3) Le "travail indirect"
a) La formation à la prise en charge psychologique
L’objectif, quand les compétences et les ressources sont disponibles localement, est d’arriver à l’autonomisation des populations locales. « Le rôle d’un référent expatrié, c’est de favoriser la constitution d’un « collectif de soin », c'est à dire aider une équipe à se doter d’outils de fonctionnement élaborés collectivement à partir de leurs pratiques » (Drogoul, F. (2003). p. 143). Pour éviter que la présence expatriée devienne indispensable et permanente, il s’agit, en parallèle des actions précédemment développées, de mettre en place des programmes de formation et de sensibilisation.
Le domaine de la thérapie s’est longtemps interrogé sur la façon de former les thérapeutes. A l’époque de Freud, Ferenczi privilégiait la voie du divan car pour lui, « former un analyste ne consiste pas à lui mettre des choses dans la tête, à lui donner des contenus, mais à fabriquer un type de pensée, une pensée analytique » (cité in Mesmin et al. (1997). p. 212). Ernst Jones lui, tenait également à « éviter que des fous ne pratiquent la psychanalyse », « il fallait les soigner, leur rendre l’inconscient propre » (cité in Mesmin et al. (1997). p. 212) mais pas uniquement, il fallait aussi les former par l’intermédiaire de séminaires.
Freud reconnaît la nécessité d’une formation et le besoin d’un « apprentissage rigoureux » pour une pratique qui a « acquis une précision et une finesse qui rivalisent avec la technique chirurgicale » (Freud, S. (1923). p. 19). Mais, il reste vague quant à sa réalisation. Tout en estimant qu’ « on n’apprend pas la technique psychanalytique dans les livres » (Cité in Delrieu, A. (2001). p. 1068), il affirme pourtant que l’analyste peut trouver « dans la littérature les indications théoriques dont il a besoin » (Freud, S. (1919b). p. 111). Il ajoute en plus qu’il serait extrêmement profitable pour le futur analyste d’étudier certaines matières universitaires, comme « la psychologie des profondeurs, l’introduction à la biologie, la science de la vie sexuelle, l’initiation aux tableaux de maladie de la psychiatrie, mais aussi, l’histoire de la culture, la mythologie, la psychologie de la religion et les sciences littéraires » (Freud, (1926). pp. 73-74). Il complète ses souhaits en ajoutant la sociologie, l’histoire de l’évolution, l’anatomie et les sciences de l’esprit. Aujourd’hui, même si aucune législation n’existe clairement, il est courant qu’un futur thérapeute se forme à la fois théoriquement, via des instituts de psychothérapies, et didactiquement en suivant lui-même une thérapie personnelle.
Enseigner la psychothérapie à un étudiant n’est donc pas suffisant pour qu’il devienne thérapeute. En plus de ses connaissances théoriques et de ses expériences pratiques dans des structures professionnelles, il doit expérimenter personnellement la thérapie. Ce critère peut-être particulièrement difficile à remplir si l’on veut former des praticiens dans des pays où il n’existe pas de thérapeutes de formation ayant suivi des formations académiques. On pourra certes enseigner des modalités théoriques de fonctionnement à l’étudiant, mais il ne pourra pas effectuer en parallèle de travail sur soi. De plus, il paraît difficile que le clinicien expatrié se charge lui-même d’assurer cette fonction avec des personnes qui seront par la suite ses futurs collègues.
Face à ce dilemme, il est indispensable de trouver une solution, et de proposer une alternative qui puisse permettre de former sur place des personnes pouvant assurer des psychothérapies, comme Lachal (2003) qui, dans les camps de réfugiés, « vise à mobiliser et à former sur des bases simples des agents de santé mentale qui pourront traiter ou aider un plus grand nombre de personnes ».
Pour cela, nous savons tout d’abord que Freud s’est formé seul, grâce à ce qu’il a appelé son auto-analyse. Il a ainsi analysé ses propres rêves, remis en question ses mécanismes de pensée, étudié son histoire personnelle… Sans aller jusqu’à penser que l’auto-analyse serait une solution miracle pour obtenir les compétences indispensables au thérapeute, il nous semble néanmoins qu’une personne ayant des qualités d’introspection possède déjà certaines des bases utiles pour assurer cette fonction. « Il faut parier sur leur capacité soignante à partir de leur formation qui est certes plus aptes à décrire les symptômes et à les classer qu’à les prendre en charge, mais qui leur permet incontestablement de trouver la « bonne distance ». Il faut organiser et soutenir leur capacité à analyser les problématiques individuelles (la situation familiale, le sens des symptômes, etc.) et collectives, et à inventer des réponses soignantes (qui s’appuient sur une bonne part d’intuition et d’inventivité, régulées lors des réunions) » (Drogoul, F. (2003). p. 145). Enfin, nous savons que la supervision, que nous aborderons dans la prochaine partie, permet au clinicien d’analyser ses pratiques et peut lui apporter une prise de conscience et une remise en question personnelle qui profiteront à son activité thérapeutique.
Donc, en proposant l’enseignement de différentes matières principales (psychologie de l’enfant, psychologie clinique, psychométrie, psychopathologie, techniques thérapeutiques…) et en mettant en place des groupes de travail et de supervision, il nous paraît possible, en s’appuyant sur l’expérience de terrain déjà acquise des praticiens soignants, de rendre opérationnel des cliniciens à la pratique de la psychothérapie.
Références:
Drogoul, F. (2003). Soigner en situation extrême : un exemple de « pilotage à distance » en Ingouchie. In : Baubet, T., Le Roch, K., Bitar, D. et Moro, M.R. (Eds). Soigner malgré tout, tome 1. Paris : La pensée sauvage.
Freud, S. (1919b). Faut-il enseigner la psychanalyse à l’université ? Paris : PUF.
Freud, S. (1923). Psychanalyse et Théorie de la libido. Paris : PUF.
Freud, S. (1926). La question de l’analyse profane. Paris : PUF.
Lachal, C. (2003). Mettre en place une mission de soins psychologiques. Pourquoi ? Quand ? Comment ? In Baubet T, Le Roch K, Bitar D, Moro MR. (Eds) Soigner malgré tout. Vol. 1 : Trauma cultures et soins. Grenoble : La Pensée sauvage.
Nous avons vu lors de l’exposé sur la méthodologie ingénierique, l’intérêt de mettre en place une politique d’évaluation et d’analyse des pratiques. En Occident, il est courant qu’au sein de centres de santé mentale s’effectuent des supervisions d’équipes qui ont justement pour but de proposer une réflexion sur les actions menées et les difficultés qui peuvent y être associées. Ce type de pratique est indispensable pour un projet de développement d’un centre de consultations à l’étranger, et les supervisions y trouveront un rôle régulateur et formateur.
Aussi, des études ont montré que l’activité professionnelle dans le milieu de la santé mentale pouvait mettre à l’épreuve le propre équilibre psychique du praticien, qui peut même être amené à développer un tableau pathologique classique dans sa profession. On parle alors d’épuisement professionnel, de « syndrome psy » ou de « burn-out ». « Les psychologues et les psychiatres ont un mode de travail auprès des autres qui les investit beaucoup sur le plan personnel : pour pallier cela, il faut qu’ils puissent prendre du recul par rapport à leur travail, le « secondariser » : c’est pourquoi nous essayons de mettre en place des supervisions » (Lachal, C. (2003). p. 40).
La supervision intéresse, dans le cas qui nous concerne, à la fois les futurs thérapeutes locaux, mais également les cliniciens expatriés, qui peuvent eux aussi être confrontés à des situations pathogènes étant donné la mise à distance de leurs repères. Ainsi, il doit d’une part « assimiler un certains nombre de questions propres à la « culture » (...) que ce soit une culture « historique », (...) politique, (...), sociologique, (...) professionnelle, (...) religieuse, etc. D’autre part, l’expatrié doit faire face à une véritable expérience de « perte de soi » ; sur le plan identitaire (qu’est ce qui m’a amené là, qui suis-je ?), professionnel (les repères cliniques, le cadre de travail ne sont plus les mêmes), social (dans quel tissu, à quelle place va vivre cet expatrié ? Comme un riche néocolonialiste ne fréquentant que les expatriés, comme un curieux de la découverte du tissu social local, comme l’amant ou la maîtresse d’un « local » ?), culturel (...), institutionnel, (...) temporel, (...) humain (...) » (Ouss-Ryngaert, L. et Dixméras, J.P. (2003). p. 55). Toutes ces questions peuvent alors entraîner des réactions négatives pouvant aller à l’encontre du projet (distance excessive, refuge derrière le « savoir », mécanismes de défense tels que l’inhibition, les conduites obsessionnelles, la défense cynique, l’utilisation de dogmes...) (Ouss-Ryngaert, L. et Dixméras, J.P. (2003). pp. 57-58).
La supervision vise donc à réguler les doutes et les difficultés qui peuvent apparaître au cours de l’activité. Pour cela, elle se propose d’établir un cadre, et selon des bases semblables à celles utilisées en psychothérapies, d’instaurer un espace d’écoute. Dans ce type de travail dont il est à l’origine, Balint, cherchait ainsi à « renvoyer les médecins qui venaient le consulter à leur propre demande, de les faire écouter et de leur faire entendre leurs propres questions, sans jamais répondre par un enseignement théorique ou un savoir-faire » (Raimbault, G. et Zygouris, R. (1991). p. 9).
La supervision renvoie donc chacun à sa propre pratique, à ses réactions, ses motivations, mais aussi à ses craintes et ses difficultés. « Le rôle du superviseur est en effet de « désintoxiquer » en quelque sorte l’entretien de sa charge imaginaire et de clarifier les enjeux qui sont déposés dans la relation intersubjective » (Poussin, G. (1992). p. 143). Le but est ici de permettre à l’équipe de prendre de la distance avec ses pratiques, de remettre en cause son fonctionnement pour en dégager des solutions ou penser des évolutions profitables au système. Elle est aussi l’occasion de confronter les points de vue et les orientations différentes.
En groupe, elle a l’avantage de « démystifier l’image du psychologue tout puissant, ce psychologue que nous cachons au fond de nous-mêmes, qui nous rend euphorique quand les circonstances nous permettent de nous identifier à lui, et qui nous déprime quand nous sommes confrontés à notre impuissance. Le travail en groupe permet de constater que ces deux psychologues-là sont des leurres, et que le succès ou l’échec dépendent plus de la difficulté du cas que de l’habilité du psychologue » (Poussin, G. (1992). p. 146).
Ce dispositif permet « à chacun de faire un travail spécifique qui s’articule avec celui des autres membres de l’équipe » (Rouby, P. (2003). p. 197). La supervision permet donc de proposer une prise en charge profitant à la fois au collectif soignant et à l’individu. Ainsi, « la supervision est aussi une formation en ce quelle permet au psychologue de travailler sur des éléments qui lui sont personnels et vont au-delà de l’entretien qu’il utilise pour faire ce travail. C’est en supervision que l’on peut engager un travail sur les contre-atttitudes que l’on met en jeu le plus souvent. (…) le but n’étant pas forcément de s’en débarrasser, mais de les repérer » (Poussin, G. (1992). p. 145). On voit alors ici, en plus de son utilité au niveau professionnel, la fonction formatrice que peut avoir la supervision pour des cliniciens exerçant dans des cultures où la psychologie n’est pas encore développée. Sans remplacer l’expérience d’une thérapie personnelle, elle apporte tout de même au supervisé un cadre qui peut lui fournir de nombreuses informations sur son fonctionnement intérieur.
Références:
Lachal, C. (2003). Mettre en place une mission de soins psychologiques. Pourquoi ? Quand ? Comment ? In Baubet T, Le Roch K, Bitar D, Moro MR. (Eds) Soigner malgré tout. Vol. 1 : Trauma cultures et soins. Grenoble : La Pensée sauvage.
Ouss-Ryngaert, L. et Dixméras, J.P. (2003). Que vivent les équipes dans les situations extrêmes ?. In Baubet, T., Le Roch, K., Bitar, D. et Moro, M.R. (Eds). Soigner malgré tout, tome 1. Paris : La pensée sauvage.
Poussin, G. (1992). La pratique de l’entretien clinique. Toulouse : Editions Privat.
Rambaud, G. (2004). Psychiatrie transculturelle - Les traumatismes des réfugiés soignés en France. Article publié le 27 janvier 2004 sur le journal en ligne Afrik.com. Consultable sur http://www.afrik.com/article6990.html.
Rouby, P. (2003). Organiser un programme de soins en situation de violences chroniques : l’exemple de la Sierra Leone. In Baubet, T., Le Roch, K., Bitar, D. et Moro, M.R. (Eds) Soigner malgré tout, tome 1. Paris : La pensée sauvage.
Un programme de santé mentale à l’étranger implique systématiquement sur place différents corps de métier : des soignants (médecins, personnel infirmier, kinésithérapeutes, orthophonistes…), des professions sociales (enseignants, éducateurs, professions juridiques…)… Transmettre un savoir aux professionnels locaux pour améliorer leur pratique figure souvent parmi l’un des objectifs principaux pour une coopération efficace.
Dans le cas du développement d’un centre de consultations, nous avons vu que le travail à réaliser portait à la fois sur l’organisation interne du centre et sur l’activité clinique avec les patients. Il s’intéresse également aux différents partenaires qui ont un rapport avec la santé mentale et le travail en réseau est courant dans le cas où une nouvelle structure se met en place. En effet, l’arrivée de la psychologie, et de ses nombreux domaines d’application dans une culture est susceptible d’intéresser de nombreuses entités, même s’il est évident que certaines appréhensions ou craintes peuvent apparaître simultanément et elle modifie souvent le paysage et entraîne de nouvelles attentes chez les différents acteurs.
Potentiellement, le travail de psychologie sera en mesure d'intéresser différents types de structures. Il peut s’agir des hôpitaux proches du centre, des écoles de la région, des crèches, des centres sanitaires et sociaux, des associations caritatives, des ONG… Parmi ceux-ci, nous choisissons ici deux acteurs principaux qui pourront particulièrement profiter de la nouvelle activité du centre : l’école et l’hôpital, général ou psychiatrique. Pour ces deux structures, selon Raimbault, et Zygouris, (1991), « le psychanalyste « idéal » pour le médecin [ou l’instituteur] serait celui qui connaît l’Inconscient, et peut transmettre cette connaissance, sans que l’enseigné ait à passer par les chemins de cette connaissance. Le médecin attend de cette connaissance la possibilité d’en inférer certains faits, certaines conséquences immédiatement applicables dans sa pratique ».
En sensibilisant l’instituteur à l’approche psychologique des troubles psychiques chez l’enfant, on agit en faveur de la prévention. En effet, il sera plus à même de reconnaître un comportement pathologique, et pourra ainsi le signaler plus rapidement aux structures compétentes. Il pourra également se renseigner sur l’attitude à adopter face à une situation éducative délicate. On peut appliquer ce schéma à d’autres entités comme des orphelinats, ou des structures en contact avec la délinquance, la maltraitance, la toxicomanie… Le centre psychologique, surtout quand il a un statut public, peut dans ces cas-là servir d’espace d’échange et de dialogue.
Par rapport à l’hôpital et au système de soin classique, l’arrivée de la psychologique peut avoir une action pédagogique et thérapeutique. Dans certaines sociétés, l’aspect mental des sujets, comme par exemple leurs réactions émotionnelles face à une pathologie n’est pas pris en compte, car seul l’aspect somatique est traité. En sensibilisant le milieu médical à la psychopathologie, on peut favoriser le soin et ainsi, améliorer le processus de guérison. On parle alors de psychologie médicale, quand par une « activité de collaboration régulière avec certains services, (...) [on peut] aider les patients et les soignants à mieux faire face à des situations psychologiquement éprouvantes » (Zumbrunnen, R. (1991). p. 18).
Définir une stratégie de communication permet alors d’accompagner la mise en place du projet. L’objectif sera d’instaurer un dialogue entre tous les intervenants tant intérieurs qu’extérieurs. Il s’agit de réussir à la fois à écouter les réactions des acteurs et diffuser des informations ciblées et pertinentes. A la base de cet échange, il s’agit donc de ré-analyser les enjeux et de comprendre les positions de chacun. « A priori, chacun à raison » (Chambon, M. et Pérouze, H. (1996). p. 117), donc chaque logique devra être rapprochée de son cadre de référence pour devenir cohérente.
Le plan de communication doit également se préparer en fonction de l’anticipation des réactions de chacun. Encore une fois, le travail de recherche effectué précédemment est essentiel pour identifier les différentes forces en présence. Pour se faire connaître, il faut sensibiliser les différents acteurs à ce qui peut les intéresser et veiller à proposer une démarche crédible. Il faut donc systématiquement se demander quels dispositifs communicationnels ont été prévus pour informer les acteurs sur le fonctionnement du dispositif ainsi qu’anticiper et prendre en compte leurs réactions.
Pour cela, Chambon et Pérouze (1996) présentent trois fonctions de la communication : stratégique, promotionnelle et opérationnelle.
Enfin, pour être efficace, Chambon et Pérouze (1996) proposent que la communication satisfasse à plusieurs critères. Elle doit être :
Références:
Chambon, M. et Perouze, H. (1996). Conduire un projet. Lyon : Chroniques Sociales.
Raimbault, G. et Zygouris, R. (1991). L’enfant et sa maladie – psychanalyse et consultation hospitalière. Toulouse : Editions Privat.
Zumbrunnen, R. (1991). Psychiatrie de liaison. Paris : Masson.
d) La recherche
La recherche interculturelle s’intègre naturellement dans tout projet de santé mentale car au cours de son travail, l’équipe et le psychologue étranger seront amenés à devoir développer de nouveaux outils ou en adapter d’autres, rédiger des documents de référence, traduire des ressources étrangères… La « recherche » apparait donc comme variée et pourra prendre de nombreux aspects.
Pour des études comparatives entre deux cultures (cross-cultural studies), Berry et al. (1997) présentent quatre types de méthodologies principales en fonction de la prise en considération des facteurs contextuels et culturels et l’orientation de l’étude.
Citons également la différence de Berry (1992) entre des études « emic » et « etic », considérant l’aspect issu de la « culture spécifique [emic] ou de la culture générale ou universelle [etic] des comportements ». « Selon l’approche emic, un effort est fait pour observer le phénomène et les interrelations à travers les yeux d’une personne née dans la culture particulière. Elle essaie d’éviter l’imposition des notions « a priori » et idées issue de la propre culture du chercheur ». Au contraire l’approche « etic » s’attachera à la culture en général, considérant la prédominance de l’aspect universel, mais dans ces cas-là, « le danger de l’approche « etic » est que les concepts et notions du chercheurs prennent leur racines et sont influencées par leurs origines culturelles ».
Aussi, Berry (1992) pense que « le but d’une étude empirique est de changer progressivement les etic « imposés » pour correspondre avec les points de vue emic de la culture étudiée. (…) Les chercheurs vont immanquablement commencer avec des etic imposés. Ils vont examiner leurs conceptions et méthodes pour une adéquation avec la culture et les modifier dans une phase emic ».
Ratner (2008) insiste sur l’avantage des méthodologies qualitatives pour des contextes culturels ou interculturels, « la méthodologie qualitative est nécessaire pour investiguer l’aspect macro-culturel de la psychologie. (…) Les facteurs macro-culturels comme l’idéologie (concepts) et les institutions ne sont pas directement et complètement visibles. (…) Les phénomènes psychologiques ne sont pas directement observables. Ils sont influencés et déduits des formes de comportement. La relation entre culture et psychologie est représentée de la même façon. On ne peut pas directement voir ce qui forme la conscience des individus, les idéologies qui forment les pratiques sociales des mères (…). De la même façon, les méthodologies qualitatives en psychologie culturelle permettent une compréhension des caractéristiques culturelles et de les faire correspondre aux caractéristiques des phénomènes psychologiques homologues ».
Références:
Berry, J.W. (1992). Cross-cultural psychology : research and applications. Cambridge University Press.
Berry, J.W., Poortinga, Y.H. et Pandey, J. (1997). Handbook of Cross-cultural Psychology : Theory and method. Kingston : Éditeur John Berry.
Ratner, C. (2008). Cultural psychology and qualitative methodology: Scientific and political considerations. Culture & Psychology, 14(3).
e) La publication et la diffusion
Dans un cadre humanitaire, « témoigner » est, selon Lachal (2003), l’un des cinq buts « classiques » d’un programme de santé mentale interculturel, aussi, on peut penser que dans tout projet de développement, communiquer avec l’extérieur des avancées du travail réalisé entretiendra le réseau de professionnels et participera à l’essor de la discipline.
Toutefois, dans beaucoup de pays en voie de développement, l’édition en version papier de livres est rarement rentable et demande à l’auteur d’investir de l’argent qui y trouvera son compte non pas par ses droits d’auteurs mais grâce à la reconnaissance et la renommée que son ouvrage va lui apporter. La raison est souvent due à la pauvreté de la population qui ne souhaitera pas investir dans l’achat dans un livre, et préfèrera bien souvent le photocopier pour le tiers de sa valeur.
Aussi, il est souvent rare de trouver dans le pays des journaux scientifiques qui puissent publier des articles à destination des professionnels de la discipline. La presse grand-public, ou plus ou moins spécialisée (quotidiens ou hebdomadaires à vocation scientifique, médicale, à destination de la famille ou portant sur les enfants…), elle, peut être intéressée par la publication d’article accessible, mais demandera bien souvent au centre de consultation ou à l’auteur de l’article une rétribution qui variera en fonction de la taille de l’article, du travail journalistique demandé, de la présence ou non d’un photographe…
Par rapport à ces contraintes, la publication peut malgré tout se réaliser et se voit aujourd’hui facilitée par rapport à quelques années grâce à internet qui offre la possibilité de diffuser facilement et largement les informations.
Références:
Lachal, C. (2003). Mettre en place une mission de soins psychologiques. Pourquoi ? Quand ? Comment ? In Baubet T, Le Roch K, Bitar D, Moro MR. (Eds) Soigner malgré tout. Vol. 1 : Trauma cultures et soins. Grenoble : La Pensée sauvage.
4) La relation avec les partenaires : le management interculturel et la collaboration interdisciplinaire
a) La notion de compétence interculturelle
La conduite des entretiens interculturels a été étudiée par de nombreux chercheurs au cours des dernières années. Dans un de ses articles, Marandon (2001) a répertorié les principaux travaux analysant les différents facteurs favorisant l’efficacité interculturelle.
Dans une étude menée par Kelley et Ruben (1983), six critères spécifiques se dégagent :
- l’empathie
- le respect pour l’autre
- l’intérêt pour la culture locale
- la flexibilité dans la prise de rôle
- la tolérance de l’ambiguïté
- la compétence technique
Martin (1987), dans une autre étude multifactorielle sur la compétence interculturelle, distingue quatre dimensions principales favorisant ce type d’entretien :
- la conscience de soi et de sa propre culture
- la conscience des implications des différences culturelles
- la flexibilité interpersonnelle
- l’aptitude à faciliter la communication interculturelle
Dans une étude plus récente Cui et Van Den Berg (1991) proposent un « modèle tridimensionnel en correspondance avec la classique tripartition psychologique : cognitif, affectif et comportemental ». Les dimensions correspondantes sont respectivement :
- la compétence de communication (langage, capacité d’engager la conversation, d’établir et de poursuivre des relations),
- l’empathie culturelle (tolérance de l’incertitude et de l’ambiguïté, empathie pour les normes culturelles, pour les styles de travail différents et conscience des différences culturelles),
- et le comportement communicatif (comportement social approprié et manifestation de respect).
D’après Sainte Marie (1997), la « compétence interculturelle » serait « cette capacité qui permet à la fois de savoir analyser et comprendre les situations de contact entre personnes et entre groupes porteurs de cultures différentes, et de savoir gérer ces situations. Il s’agit de la capacité à prendre une distance suffisante par rapport à la situation de confrontation culturelle dans laquelle on est impliqué, pour être à même de repérer et de lire ce qui s’y joue comme processus, pour être capable de maîtriser ces processus ».
Hammer et al (1978) et Wiseman et Abe (1984) abordent eux l’aptitude à gérer le stress psychologique en situation interculturelle.
Rappelons également ici que Devereux (1978) proposa dans le cadre de thérapies métaculturelles, une « reconnaissance systématique de la signification générale et de la variabilité de la culture ».
Dans le monde anglo-saxon, Campinha-Bacote (1997) propose de définir la « compétence culturelle » comme « un processus, et non pas un point final, dans lequel un dispensateur de soins s'efforce continuellement d'atteindre la capacité de travailler efficacement avec un individu, une famille, ou une communauté dans un contexte de diversité culturelle / ethnique ».
S’appuyant sur des statistiques américaines (U.S. Bureau of the Census Statistical. (1996)), prévoyant que d’ici 2050 la population asiatique au sein de la population américaine va augmenter de 3% à 11%, la population africano-américaine de 12% à 16%, les Hispaniques de 9% à 21%, Campinha-Bacote (2000) estime alors que les soignants « ne devront pas seulement être compétents, hautement qualifiés, et très motivés, mais aussi sensible à la culture », elle souhaite alors proposer un « cadre pour proposer des soins culturellement adaptés ».
Elle élabore alors un modèle basé sur cinq concepts : la sensibilisation à la culture (cultural awareness), le savoir culturel (cultural knowledge), les rencontres culturelles (cultural encounters), les habiletés culturelles (cultural skill) et le désir culturel (cultural desire). Selon Campinha-Bacote (2001), la « compétence culturelle dans le soin » se situerait alors à l’intersection des cinq concepts.
Nous soulignons ici l’importance accordée par Campinha-Bacote à la notion de « processus », au fait de concevoir la compétence culturelle comme un enseignement jamais abouti, en perpétuel mouvement, plutôt que comme un état fixe. Elle mentionne alors deux concepts, l’« humilité culturelle » et l’ « humanité partagé » du praticien qui devra continuellement se positionner comme un apprenant plutôt que comme un spécialiste. « L’humilité culturelle [cultural humility] est un processus d’apprentissage permanent [lifelong] dans lequel le praticien apprend humblement un autre milieu culturel ». Elle ajoute à cela le concept de l’« humanité partagé » [shared humanity] « comme le processus dans lequel le praticien et les patients s'engagent dans l'humble tâche de partager leurs univers culturels et les pratiques de soins pour négocier un traitement [care plan] mutuellement acceptable et culturellement valide. L’ « humanité partagé » est vraiment un processus, et non un événement, un voyage, et non une destination; et le fait de devenir, en non être, culturellement compétents ».
A travers ces différentes études portant sur la situation interculturelle, on retrouve des dimensions concernant la position du thérapeute et la situation duelle, communes avec d’autres pratiques et qui ne semblent pas spécifiques à la situation interculturelle, mais que l’on pourrait retrouver communément dans d’autres types de psychothérapies, comme par exemple celles d’orientation rogeriennes ou humanistes en général.
Lecomte et al. (2006) précise également que « la compétence culturelle n’est pas une compétence « isolée des autres compétences et modes de communication du champ social ». Elle sous-tend la présence des capacités de relation d’aide, d’écoute, d’empathie, etc., qualités qui se retrouvent généralement chez tout intervenant de la relation d’aide ».
L’approche de Carl Rogers « centrée sur la personne », non-directive, vise en premier plan à faciliter les échanges dans les relations individuelles. Rogers (1980) considère que « cette approche peut se pratiquer à travers toute communication humaine, entre le patient et le thérapeute, le parent et l’enfant, le leader et le groupe, le professeur et l’élève… », nous pouvons alors l’imaginer aussi intéressante entre deux individus de cultures différentes.
Il propose trois conditions principales pour cette approche et permettre un « développement de la personne » :
On peut alors s’interroger si l’importance de ces outils et de ces modalités d’interaction entre le patient et le thérapeute, ne se retrouverait pas autant en situation interculturelle qu’en absence de différence culturelle. Aussi, reliant les deux pratiques, et voyant dans l’une des caractéristiques qui pourraient avantager l’autre, Dasen (1993) n’hésite pas à affirmer que « toute psychologie vraiment scientifique devrait (…) à plus ou moins long terme (…) être interculturelle », impliquant une prise en compte systématique de réalités socioculturelles du patient, ainsi qu’une remise en question permanente du thérapeute de ses méthodes, et sur sa place dans le cadre et au sein de la relation thérapeutique.
Références:
Campinha-Bacote, J. (1997). Cultural competence : A critical factor in child health policy. Journal of Pediatric Nursing, Volume 12, Issue 4, August 1997.
Campinha-Bacote, J. et Munoz, C. (2001). A guiding framework for delivering culturally competent services in case management. The Case Manager, Volume 12, Issue 2, March 2001.
Campinha-Bacote, J. et Narayan, M.C. (2000). Culturally competent health care in the home. Home Care Provider, Volume 5, Issue 6, December 2000.
Cu Le, L. (2006). Unintended live birth versus abortion : What factors affect the choices of Vietnamese women and couples? Asia-Pacific Population Journal, August 2006.
Dasen, P.R. (1993). L’ethnocentrisme de la psychologie. In : Rey-von-Allmen (Eds). Psychologie clinique et interrogations culturelles. Paris : L’Harmattan.
Devereux, G. (1978). L’ethnopsychiatrie. Ethnopsychiatrica 1. (1).
Lecomte, Y., Jama, S. et Legault G. (2006). Présentation : L’ethnopsychiatrie. Santé mentale au Québec. Vol. 31, n° 2, 2006.
Marandon, G. (2001). Empathie et compétence interculturelle In Kiss, A. (Eds). L’empathie et la rencontre interculturelle. Paris : L’Harmattan.
Martin, D. (1995). Psychiatrie et catastrophes : le point de vue d’un humanitaire. In Moro, M.R. et Lebovici, S. (Eds). Psychiatrie humanitaire en ex-Yougoslavie et en Arménie. Face au traumatisme. Paris : PUF.
Rogers, C.R. (1980). A way of being. Boston: Houghton Mifflin.
Sainte Marie, A.F. (1997). La compétence interculturelle dans le domaine de l’intervention éducative et sociale. Les Cahiers de l’Actif, 250/251.
U.S. Bureau of the Census Statistical. (1996). Abstract of the United States, 116th ed. Washington (DC): U.S. Government Printing Office.
b) Apparition et définition du management interculturel
Depuis une vingtaine d’années, le management interculturel est un sujet de recherche qui a intéressé et créé un certain engouement dans de nombreux domaines : universitaires, milieux de l’entreprise et associatif, ONG, acteurs humanitaires…
A travers la mondialisation et l’échange toujours plus important de biens et de services entre les pays les entreprises et les institutions sont de plus en plus amenées à mener des négociations internationales. Aussi, les différentes migrations, les expatriations, les stages à l’étranger, … ont amené une grande diversité d’origines culturelles dans les équipes, qui font que le monde apparait de plus en plus aujourd’hui comme, d’après l’expression de McLuhan (1964), « un village global » (McLuhan, M. (1964). Cité in Baillargeon, J-P. (2002). p. 62).
Du point de vue économique, la connaissance pour une entreprise du management interculturel devient indispensable pour pouvoir survivre dans l’espace concurrentiel et il apparait comme une exigence à la fois pour gérer son équipe mais aussi pour échanger avec ses partenaires, clients et fournisseurs.
Dans les années 80, la culture n’était pas réellement reconnue par les théories économistes du management. Après un un examen de vingt-quatre revues anglophones publiées en 1971 et 1980, Chevrier (2000) a montré que « moins de 5% des articles en comportement organisationnel s’intéressaient à des questions interculturelles et que moins de 1% étaient consacrés aux interactions entre employés issus de cultures différentes ». Mais suivant la mondialisation, les méthodes étrangères de management ont du s’adapter aux réalités locales et ont du intégrer à leur mode de gestion les variables culturelles.
Théry (2002) défini le management interculturel comme« l’ensemble des stratégies ou modes de gestion des hommes qui prennent en compte les cultures nationales des interlocuteurs (clients, personnels, partenaires, pouvoirs et opinions publics) ». Pateau (2005) identifie alors la « meilleure définition du management interculturel » comme le fait d’ « identifier les spécificités culturelles et s'efforcer de les articuler avec les nécessités universelles de la gestion », et c’est bien dans cette articulation des pratiques et des cultures entre elles que semble se trouver toute la particularité du management interculturel. Dupriez (2002) voit également l’objectif « de tenter de tirer parti de cette diversité plutôt que d’en subir les inconvénients, de tenter de concilier des pratiques de management qui en tiennent compte et les exigence d’une perspective globale qui restent nécessaires ». Il précise également les deux extrêmes entre lesquels la pratique devra savoir se situer : « échapper à la double fatalitéd'un conformisme unificateur et sans égard pour les richesses culturelles d'une part et d’un respect inhibé et paralysant devant les particularismes d’autre part ».
- Les travaux de Hofstede
Hofstede à travers une étude quantitative très importante, a identifié quatre puis cinq indices culturels déterminants dans le management interculturel :
- i) la distance hiérarchique (« mesure (de petite à grande) dans laquelle les membres les moins puissants des institutions et des organisations d'un pays acceptent que le pouvoir soit distribué de manière inégale ») ;
- ii) l’individualisme et le sens communautaire (tendance des individus à préférer prendre soin d’eux-mêmes et de leur famille proche, plutôt que du groupe et de l’organisation représentés par l’entreprise) ;
- iii) la peur de l’incertitude (« mesure (de faible à forte) dans laquelle les membres d'une culture se sentent menacés par des situations ambiguës ou inconnues ») ;
- iv) masculinité et féminité (« masculinité » fait référence aux valeurs d’affirmation de soi, de compétition et de matérialisme. La « féminité » renvoie à la qualité de vie, aux relations humaines et l’harmonie relationnelle) ;
- v) l’orientation à court ou long terme (l’orientation à long terme vise « les récompenses liées à l'avenir, en particulier la persévérance, l'épargne, et l'adaptation aux changements. L'orientation à court terme promeut les vertus liées au passé et au présent, en particulier le respect de la tradition, la préservation de la « face », et le respect des obligations sociales ») (Hofstede, G. et Hofstede, G.J. (2005). Cité in Meeuwesen, L. et Hofstede, G. (2009)).
En croisant les critères d’Hofstede deux à deux, il a été possible d’établir des modèles de management autour du style de commandement en fonction de la distance hiérarchique et de l’individualisme plus ou moins fort, le mode de motivation en fonction de la masculinité/féminité et du contrôle de l’incertitude, le modèle d’organisation avec les indices de distance hiérarchique et le contrôle de l’incertitude.
Cette classification a toutefois fait l’objet de plusieurs critiques car il lui a été reproché de ne pas prendre en compte l’évolution de comportements au sein d’un pays, ou encore l’aspect schématique peu sensible aux nuances que l’on peut retrouver entre différents individus ou politiques d’entreprises. Malgré cela, les recherches d’Hofstede sont restées une référence intéressante en ce qui concerne la description des cultures.
- Les travaux de Hall et Hall
Hall et Hall qui travaillèrent particulièrement sur la notion de proxémie, firent également un grand nombre de recherches dans le domaine de l’interculturel. Dans leur ouvrage « Understanding cultural differences » ils décrivent trois facteurs de différenciation entre les pays : le temps, l’espace et le contexte de communication qui permettent, à travers leur étude de « révéler les modes de comportement sous-jacents ».
- Les travaux de Gesteland
Gesteland (1999) s’appuya sur quatre critères pour observer les comportements variables d’une culture à l’autre.
- Les travaux d'Iribarne
Nous présentons enfin une partie des travaux d’Iribarne qui apporterons un éclairage complémentaire à ceux que nous venons de voir. L’approche d’Iribarne est surtout qualitative, basée sur une étude approfondie de pays à travers une observation attentive des travailleurs sur le terrain, du fonctionnement des entreprises et des institutions pour en comprendre leurs règles et spécificités et tirer des significations des faits observés. Sa méthode de recherche est alors de mettre en évidence au sein de différentes sociétés, ce qui est vécu quotidiennement (les rapports hiérarchiques, la coopération entre services, l’organisation des rapports avec les clients…) le sens qui en est donné par les acteurs, et les façons dont la coopération entre les individus et les fonctions s’organisent
Iribarne conçoit alors une relation entre le mode de management d’une culture avec la vision qu’elle a de l’homme et de la société héritée de son époque « post-moderne ». Il existe alors sur la planète une grande diversité de formes de coordination et de type fonctionnement des organisations que l’on ne peut comprendre que lorsque l’on aura saisi les spécificités culturelles de la société.
On retrouve alors les prémices de sa théorie sur les « scène de références » où en 2007, il conçoit par exemple pour le monde anglo-saxon et spécialement les Etats-Unis, « la forme d’organisation de la société, fondée sur un strict enforcement des droits de propriété ». Selon lui, le modèle anglo-saxon des entreprises sera alors aussi organisé selon cette problématique, et il y aura « dans les entreprises, le découpage soigneux des responsabilités, conduisant à fixer à chacun des objectifs librement négociés, (…) [ce qui] met en correspondance la vie d’une organisation avec l’image mythique d’une société de propriétaires, qui coopèrent à travers des contrats librement négociés ».
En France, la vision de l’homme et de la société est bien différente et renverrait aux droits et aux devoirs associés à la position et au rang spécifique que chacun occupe dans la société. Les rapports hiérarchiques et avec les clients sont donc hautement liés avec ce qui est « normal de faire conformément aux usages du métier que l’on exerce, à ce que celui-ci exige ou interdit que l’on fasse sous peine de déchoir ». Il rapproche alors cette situation avec ce qui existait déjà en France pendant l’Ancien Régime où, d’après Tocqueville, la conception de la liberté était fondée sur les droits propres à une position sociale spécifique. Il élargit enfin sa vision avec les distinctions liées au rang, la conception que chacun peut avoir de son métier, et retrouve dans l’entreprise moderne des caractéristiques proches de ce qui existait à travers les différenciations entre noblesse, clergé et tiers état.
L’héritage de chaque société « moderne » se retrouve donc particulièrement actif au sein de leurs habitudes de management. Pour les pays en développement, Iribarne (2007) constate que les pratiques de management de gestion de grandes entreprises sont rarement adaptées avec les habitudes locales ce qui provoque souvent de nombreuses difficultés et échecs. Il s’agit la plupart du temps de « méthodes ‘universelles’ », de « méthodes américaines, plus ou moins ‘bricolées‘ », de « best practices » qui sont imposées et mises en place de façon assez rigide. Face à cela, lui recommande alors que, dans chaque contexte culturel, l’approche du management soit conçue et appliquée selon la manière de vivre et de travailler ensemble qui prévaut localement.
Dans leur ouvrage « Le tiers monde qui réussit », Iribarne et Henry (2003) présentent alors la mise en place de nouvelles manières de gérer apparues dans des entreprises de différents pays comme le Cameroun, le Mexique, le Maroc, l’Argentine…, n’étant ni un simple maintien de manières traditionnelles de gestion, ni une importation littérale de pratiques étrangères. Ces entreprises se sont alors « appuyées sur une réinterprétation moderne des formes traditionnelles de coopération, présente dans la société mais habituellement absentes du monde des entreprises » (Iribarne (d’), P. (2007). p. 13). Le management peut alors s’inspirer de coutumes sociales, familiales, religieuses, historiques…
Références:
Chevrier, S. (2000). Le management des équipes interculturelles. Paris : PUF.
Baillargeon, J-P. (2002). Transmission de la culture, petites sociétés, mondialisation. Laval : PUL.
Dupriez, P. et Simons, S. (2002). La résistance culturelle: fondements, applications et implications du management interculturel. Louvain-la-Neuve : De Boeck Université.
Gesteland, R. (1999). Patterns of Cross-Cultural Business Behavior. Copenhagen : Copenhagen Business School Press.
Hall, E.T. et Hall, M.R. (1994). Understanding cultural differences. Boston : Intercultural Press.
Hofstede, G. et Hofstede, G.J. (2005). Cultures and organizations: software of the mind. New York: McGraw-Hill.
Iribarne (d’), P. (2007). Culture et développement ; les questions de management. Communication à la 5ème conférence AFD/EUDN. 5 décembre 2007.
Iribarne (d’), P. et Henry, A. (2003). Le tiers monde qui réussit - nouveaux modèles. Paris : Odile Jacob.
McLuhan, M. (1964). Understanding media. The extension of man. Toronto, McGrow-Hill.
Meeuwesen, L. et Hofstede, G. (2009). Can dimensions of national culture predict cross-national differences in medical communication ? Patient Education and Counseling. 75.
Pateau, J. (2005). Une étrange alchimie: la dimension interculturelle dans la coopération franco-allemande. Cergy : CIRAC.
Théry, B. (2002). Manager dans la diversité culturelle, Paris : Editions d'Organisation.