LE TRAVAIL DE SUIVI AU SEIN DE L'EQUIPE COMME PRINCIPAL OUTIL D’EVALUATION

 

L’évaluation des actions réalisées s’intègre dans la plupart des projets gérés par une méthode d’ingénierie.

Durant toute la phase d’exploitation du projet, il est nécessaire de contrôler différents aspects qualitatifs de la production en appliquant un programme d’évaluation. « Il s’agit d’un instrument essentiel du suivi du bon déroulement de la mission. Mais il n’y a pas de bonne évaluation si le programme n’est pas parfaitement défini au départ. Un projet de mission qui n’intègre pas d’évaluation est aujourd’hui un projet inacceptable. Celle-ci est exigée tant par les bailleurs de fonds que par les divers partenaires locaux ou internationaux » (Lebas, J., Veber, F. et Brücker, G. (1994). pp. 200-201).

Il faut alors mesurer les résultats et les rapprocher de ceux exigés lors de la phase de définition. Des indicateurs-clés auront alors été définis et aideront à l’évaluation.

Pendant l’exploitation du projet, on cherchera à évaluer et maîtriser les effets qui, en retour, l’enrichiront ou la corrigeront. Ainsi, on retrouve la révision, « c'est à dire d’une part, la vérification que la solution obtenue correspond bien à la solution recherchée et, d’autre part, l’examen de la solution obtenue aux fins de réutilisation dans la solution d’autres problèmes » (Paquette, G. (2002). p. 109).

Le rôle de l’évaluation et de l’analyse des pratiques devient donc un processus pleinement intégré au fonctionnement de l’ensemble de la structure, ce qui se traduit souvent par l’application de plus en plus fréquente de programmes de « démarche qualité ». Etant donné que les ouvrages en projet sont souvent multidimensionnels, car ils impliquent différents acteurs et différents corps de métier, une difficulté isolée perturbe très souvent l’équilibre global du système, ce qui demande alors une connaissance complète du dossier.

L’évaluation du travail psychothérapeutique soulève de nombreuses questions et rencontre des difficultés méthodologiques qui sont perpétuellement débattues dans la littérature scientifique. Aussi, si la qualité du travail clinique peut figurer dans les objectifs d’un projet et peut être difficile à évaluer, le projet comportera certainement d’autres objectifs qui pourront être évalués de façon plus rationnelle grâce à des outils de gestion de projet que nous faisons figurer ci-dessous.

Dans le domaine de la santé mentale, l’évaluation peut s’effectuer de différentes manières : à travers des outils standardisés (échelles, questionnaires…) ou par l’intermédiaire de séances de rencontre avec les différents acteurs pour mesurer l’état d’avancement du projet, les objectifs atteints et ceux manqués.

Aussi, nous attirons ici l’attention du lecteur sur l’intérêt d’une évaluation des objectifs de façon qualitative, à travers une rencontre directe avec les différents acteurs, et un échange commun pour discuter de la situation du projet, les réussites accomplies, les échecs rencontrés, les améliorations envisagées… Loin d’une utilisation mécanique d’outils parfois peu adaptés culturellement et pouvant biaiser l’évaluation, une approche directe, à travers des entretiens portant sur les résultats du programme entrepris nous semble bien plus adapté à la situation interculturelle qui nécessitera immanquablement des précisions, des éclaircissements, des modérations qui ne pourront apparaitre aisément à travers un outil mais seront en revanche plus grâce à une argumentation et un débat.

Les réunions de travail au sein de l’équipe peuvent comporter de nombreuses modalités différentes, mais elles cherchent toutes à proposer aux professionnels un espace de réflexion et d’échanges.

Au cours d’une communication au sein d’un colloque, Phan et Bosc (2009) ont discuté autour de la « Transmission et échange des pratiques dans un contexte interculturel ». Nous en présentons ici un extrait qui renvoie au travail de suivi au sein de l’équipe comme moyen d’évaluation des pratiques. Nous proposons ici de distinguer trois types de suivis :

                    a) Le briefing/debriefing

                    b) L'analyse de pratiques

                    c) La supervision

Ces types d’approche nous semblent alors proposer un encadrement complet à l’équipe vietnamienne et au psychologue français pour transmettre et échanger les savoirs, les mettre en application à travers des activités pratiques et éviter les éventuels biais culturels.

L’approche utilisée lors de ces types d’activité de suivi est assez classique et s’appuie sur l’écoute active, la maïeutique, la semi-directivité…

Nous connaissons tous l’approche de Carl Rogers « centrée sur la personne », non-directive, qui permet de faciliter les échanges dans les relations individuelles. Rogers (1980) considère que « cette approche peut se pratiquer à travers toute communication humaine, entre le patient et le thérapeute, le parent et l’enfant, le leader et le groupe, le professeur et l’élève » (Rogers, C-R. (1980). pp.115-116)… alors nous l’imaginons également intéressante entre deux collègues cliniciens de cultures différentes.

Grâce à ses principes qui limitent toute directivité ou culturo-centrisme, les cliniciens de cultures différentes pourront réfléchir ensemble, de façon égalitaire, sur leurs pratiques et assurer conjointement une prise en charge la plus adaptée possible à la situation du patient. Ces moments de suivis seront aussi l’occasion de revenir sur des concepts théoriques ou encore des éclaircissements de points culturels liés à des approches vietnamiennes que le psychologue étranger n’aura pas forcément saisis et réciproquement.

Par ailleurs, il est également important de préciser que ces moments de réflexion sont propices pour que les psychologues étrangers et vietnamiens tissent des liens entre eux, s’interrogent mutuellement, partagent leurs expériences, leurs conceptions personnelles, leurs difficultés, leurs interrogations… Cet espace devient alors un réel lieu d’échange interculturel qui unira les cliniciens autour d’une même pratique, et créera une intimité qui sera ensuite grandement utile pour tout travail avec le patient effectué en binôme.

Enfin, au niveau de l’équipe vietnamienne, les exercices de suivi permettront aux cliniciens d’échanger sérieusement et librement entre eux sur des thèmes professionnels ou personnels. Au cours de notre séjour au Vietnam, nous avons en effet remarqué qu’il existait assez peu de lieux d’échange et de débat autour de la psychologie (pas d’associations professionnelles, pas de journaux spécialisés accessibles facilement, pas d’émission de radio ou de télévision régulière…), et lors des réunions d’équipe impliquant des membres de la direction, le discours risque d’être modifié, voire parfois totalement transformé par peur que des interrogations formulées publiquement apparaissent pour de l’ignorance, ou qu’une présentation de cas pleine de doute soit perçue, abusivement, comme de l’incompétence.

En France la constitution de groupes de réflexion permet une analyse des pratique en vue d’améliorer la compréhension du patient en s’alimentant de réflexions personnelle, et apportent un soutien de la part des pairs. Au Vietnam, on peut s’interroger sur la manière de mettre en place ces groupes de réflexion d’analyse de pratiques ou de supervision sachant que la pratique de la psychologie clinique est à ses débuts, que l’on trouve encore peu de psychologues cliniciens expérimentés et que le réseau des professionnels est tout juste naissant.

 

Références:

Arbisio-Lesourd, C. (2002). La psychologie clinique. Paris : Editions Bréal.
Crocq, L. (2004). Histoire du débriefing. Pratiques Psychologiques, Volume 10, Issue 4, December 2004.
Lebas, J., Veber, F. et Brucker, G. (1994). Elaboration d’un projet de mission. In : Médecine humanitaire. Paris : Médecine-Sciences Flammarion.
Paquette, G. (2002). L'ingénierie pédagogique: pour construire l'apprentissage en réseau. Québec : PUQ.
Phan, X. et Bosc, N. (2009). Transmission et échange des pratiques dans un contexte interculturel. Communication au colloque franco-vietnamien de psychologie « Les éclats de l’adolescence. Les années vertes ». Hô Chi Minh-Ville, 28-29-30 octobre 2009.

Rogers, C-R. (1980). A Way of Being. Boston: Houghton Mifflin.