Pour obtenir des informations pratiques sur le fonctionnement d’un centre de consultations, nous avons rencontré en 2003-2004 six CMP, CMPP ou CATTP de la ville de Paris. Ces rencontres avaient pour but de recueillir des renseignements techniques, mais aussi, et surtout, des impressions personnelles, voire des conseils expérimentés pour mener à bien l’ouverture d’un centre de consultations à l’étranger. Il est important de préciser ici qu’il ne s’agit pas d’entretiens de recherche basés sur des règles précises et suivant un guide d’entretien, mais plutôt de discussions libres à propos des pratiques de chacun. Les informations mentionnées ici n’ont donc pas d’autre ambition que d’être des pistes de réflexion que l’on retrouvera pour certaines lors de projet de santé mentale à l’étranger.
L’organisation concrète d’un centre de consultations psychologiques demande de réfléchir sur de nombreux points techniques car il s’agit aussi ici d’être en mesure d’optimiser le temps et les résultats. On retrouve ici indirectement la notion de coût car même si dans la plupart des cas, ces structures n’ont pas un but lucratif, elles mobilisent néanmoins du personnel rétribué qui doit être employé utilement. Il est donc important que le centre exploite au mieux ces différents éléments pour proposer des activités les plus adaptées et efficaces possibles.
Globalement, les personnes qui ont été rencontrées représentent assez fidèlement les différentes fonctions que l’on peut trouver dans ce type de structures : médecin-chef, psychiatre, psychologue, personnel infirmier, éducateur. Toutefois, nous regrettons de ne pas avoir pu nous entretenir avec un(e) psychomotricien(ne), qui a l’habitude de jouer un rôle important auprès des patients, adultes ou enfants.
Au cours de ces rencontres, nous avons été étonnés de voir à quel point ces structures fonctionnaient différemment les unes par rapport aux autres. Certaines n’utilisent que les théories psychanalytiques freudiennes, d’autres comptent dans leur équipe différentes orientations (Freud, Lacan, Klein…), d’autres encore pratiquent la thérapie familiale… En parallèle de cela, les modalités de prise en charge des patients varient comme nous allons le voir, également beaucoup.
Enfin, étant donné qu’il s’agit ici d’un recueil de données informelles, nous n’avons pas souhaité présenter les pratiques des différents établissements, et avons volontairement évité de nommer les intervenants.
On retrouve très souvent dans tous ces établissements, la même composition dans l’équipe soignante. Elle s’organise en deux groupes :
- un premier groupe réuni les médecins (psychiatres ou pédopsychiatres) et les psychologues
- le deuxième groupe rassemble les psychomotriciens, les orthophonistes (présentés souvent, et pas du tout péjorativement, comme des « techniciens »), le personnel infirmier, les éducateurs spécialisés et les assistantes sociales.
Les médecins, psychologues, psychomotriciens et orthophonistes travaillent souvent à temps partiel. L’activité permanente du centre est assurée la plupart du temps par les infirmiers et les éducateurs. Nous verrons dans la partie consacrée aux prises en charges thérapeutiques comment s’effectue la répartition des tâches.
Les populations reçues dans les différentes structures dépendent beaucoup de leur statut et de leur localisation. D’une façon générale, assez peu de patients viennent d’eux-mêmes. Ils sont souvent envoyés sur recommandation (médecin généraliste, structures sociales, justice, police…) ou accompagnés par la famille ou un ami. Les CMP reçoivent des adultes dont un assez grand nombre de SDF, de psychotiques et de personnes addictées. Les CMPP reçoivent des enfants et des adolescents présentant un panel plus large de symptomatologies : névroses, psychoses, états-limites, hyperactivité… Ils suivent un circuit scolaire classique ou spécialisés.
Pour les enfants, en plus du médecin généraliste, l’école joue un rôle très important car elle est souvent le lieu où le trouble a été repéré par l’intermédiaire de l’instituteur, de l’infirmière ou du médecin scolaire… Il est assez rare que l’école appelle directement le centre. La plupart du temps, elle sert d’intermédiaire en dirigeant les parents vers le CMPP. Un centre nous a dit que « 80% des enfants consultent pour difficultés scolaires », le reste concernant des troubles du comportement. De mauvais résultats scolaires représentent parfois « la part émergée de l’iceberg ».
Il existe dans l’activité « technique » des centres de consultations, certaines pratiques communes mais également beaucoup de différences. Dans tous les établissements visités, les praticiens nous ont confirmé l’importance du premier appel téléphonique pour la prise de rendez-vous. Certains d’ailleurs utilisent des documents-type pour recueillir les informations les plus importantes. Ces documents constitueront alors les premiers éléments du dossier du malade. En fonction des établissements et de l’urgence, le premier rendez-vous est fixé entre le lendemain de l’appel et les quinze jours qui suivent.
Selon le CMP ou le CMPP, le clinicien qui assure l’entretien pourra être psychiatre (ou pédopsychiatre), psychologue, infirmier ou assistante sociale. Certains établissement justifient ces différentes possibilités en affirmant que seule « l’oreille clinique » est nécessaire, alors que d’autres pensent que seul un médecin sera en mesure d’assurer cette première étape.
Les CMP, en rapport avec leur public souvent marginal, insistent sur les qualités d’accueil et d’empathie nécessaires pour débuter un travail thérapeutique. Ainsi, le premier entretien est assuré par un infirmier psychiatrique et s’organise en trois étapes pré-définies :
- l’accueil : « mettre à l’aise », « créer le contact », « échanger »
- l’évaluation de la pathologie
- la définition de l’orientation thérapeutique
Enfin, d’une façon générale, et à part quelques cas très particuliers, les CMP ou CMPP ne font pas appel aux tests psychométriques ou projectifs lors de ces premiers entretiens, et plus largement lors de la prise en charge.
- L’orientation thérapeutique
L’orientation thérapeutique peut donc, selon tel ou tel établissement, être établie par le médecin, le psychologue ou d’autres corps de métier évoluant dans le centre. Un centre a précisé que dans son établissement, elle était systématiquement prise lors d’une discussion au sein de l’équipe, en ajoutant que la pluridisciplinarité permettait d’avoir « différents projecteurs à différents points de l’enfant qui est au centre de la scène (…) éclairage de la psychomotricienne, orthophoniste, psychologue… ça permet d’affiner le diagnostic et l’orientation ».
Dans quelques centres, un seul et même « consultant » [terme généralement utilisé], médecin, psychologues, infirmier… sera garant de la prise en charge du patient, et devient le référent principal. Il interagit avec les autres professionnels, avec la famille, est en mesure de solliciter des avis extérieurs, peut demander que des bilans supplémentaires, orthophoniques ou psychomoteurs, soit effectués…
Pour les enfants, l’orientation thérapeutique se résumer en trois principales indications :
- un type de psychothérapie
- une rééducation psychomotrice
- une rééducation orthophonique
Pour les adultes, l’orientation thérapeutique est quelque peu différente, elle peut être :
- une psychothérapie visant une guérison ou un changement
- une psychothérapie de soutien
- une rééducation psychomotrice
En parallèle de ces indications, un traitement médicamenteux peut également être prescrit. Pour les adultes, un CMP nous a précisé qu’il effectuait de nombreuses « injections retard ».
- La prise en charge psychothérapique
Deux types de prises en charge thérapeutiques sont le plus généralement pratiqués :
- la psychothérapie
- le groupe thérapeutique
Ces deux approches sont d’ailleurs souvent prescrites ensemble car elles proposent deux types de travail différents.
Les psychothérapies proposées peuvent être de natures très différentes. Ainsi, on peut trouver selon les établissements la plupart des principaux courants:
- des psychothérapies psychanalytiques (rarement effectuées sur le divan)
- du psychodrame
- des thérapies familiales
- des thérapies cognitivo-comportementales
Les groupes thérapeutiques consistent à prendre en charge des patients ayant des tableaux pathologiques comparables à travers des activités adaptées à leurs difficultés. Ils peuvent se présenter sous forme d’ateliers, et amènent les sujets à développer un aspect particulier de leur personnalité (intégration sociale, travail émotionnel, créativité, relaxation…).
Les groupes thérapeutiques sont très utilisés avec les enfants (jeux symboliques (poupées, voitures, dînette : « jouer en faisant semblant »), dessin, lecture de contes, pâte à modeler, peinture, bulles de savon, ballon, salle d’eau, parcours…). Ils comptent entre quatre et une dizaine d’enfants, et sont encadrés la plupart du temps, par un infirmier ou un éducateur, et des stagiaires psychologues. Ils possèdent des règles internes qui forment un cadre thérapeutique, il ne s’agit donc pas uniquement d’un divertissement.
Ces structures ont également un rôle de guidance parentale. Elles aident les parents et la famille en général, à comprendre le trouble auquel ils sont confrontés. Elles peuvent dans certains cas rediriger des parents vers des thérapies individuelles ou proposer des thérapies familiales quand il existe des troubles familiaux (divorce conflictuel, décès…).
Les psychothérapies durent entre trente minutes et une heure et ont habituellement lieu une fois par semaine. Elles peuvent être plus fréquentes quand il s’agit de psychotiques, ou en période aiguë. Elles sont toujours pratiquées par un psychiatre ou un psychologue. Les groupes thérapeutiques, eux, ont lieu une fois par semaine et durent à peu près deux heures, mais tout cela est très variables selon les structures.
Enfin, un psychiatre nous a indiqué qu’il veillait particulièrement à ce que le dossier du malade ne comporte que les notes personnelles du thérapeute, des informations médicales et administratives, et les compte-rendu de réunion de synthèse. En effet, le malade peut légalement avoir accès à son dossier médical, il faut donc que celui-ci soit le plus clair et le plus ordonné possible pour que « rien ne traîne au hasard ».