L'ANALYSE SOCIO-CULTURELLE
D'après Aiguesvives (2003), « ce qui définit une communauté donnée c’est la logique que nous retrouvons au sein des institutions qu’elle s’est dotée. (…) Les structures élémentaires de la société comme la famille, les structures plus complexes comme l’école, la religion, le soin… ». Aussi, pour Fabrizio et al. (1994), « la plupart du temps, ces traits demeurent plus ou moins implicites, voire de l’ordre du non-dit. Ils ne sont manifestés de manière explicite, et même ostentatoire, que dans les situations de type conflictuel ou les occasions solennelles ».
De Saivre (1996) propose lui un « découpage aussi extensif que possible ramassant les composantes de l’identité culturelle en grande parties et six sous-parties : Instances idéologico-culturelles : idéologie, psychologie - Instances socio-politiques : parenté, politique - Instances techno-économiques : économie, technologie ».
Pour étudier une société d’un point de vue anthropologique, nous nous permettons alors de faire appel au concept, bien que controversé, de « socioculturel » en nous appuyant sur la définition de l’anthropologie que l’American Anthropologist Association (1998) donne dans son code de déontologie : « l’anthropologie est un champ scientifique et d'érudition pluridisciplinaire qui inclut l'étude de tous les aspects de l'humanité : archéologique, biologique, linguistique, socioculturel. Elle plonge ses racines dans les sciences naturelles et sociales, et les humanités (…) ».
A travers ce terme, nous tenterons de représenter schématiquement la distinction de Chombart de Lauwe (1996) qui considère l'aspect social comme "une culture au quotidien propre à l’environnement de la famille, du quartier, de l’école, du travail" et inversement une "dynamique culturelle" comme "un mouvement qui part à l’intérieur des groupes" qui renverrait alors à des dimensions plus stables et évoluant lentement.
A travers ces diverses références, nous proposons alors ici de développer l'étude d'une communauté en proposant de nous intéresser à différents domaines, certains proches de la sphère culturelle
(histoire,
A travers l’étude de l’histoire du pays rencontré, on peut dégager certains thèmes que l’on pourra mettre en relation avec le quotidien du patient, et qui pourront nous aider à comprendre ou resituer tel ou tel comportement ou pensée.
Aussi, la construction psychique d’un individu est à mettre en lien avec l’histoire de sa société, et la notion d’ « inconscient collectif » de Jung illustre particulièrement bien cette idée. Pour Liard (2003), « Jung s'est intéressé à la conscience nationale. Pour lui, chaque pays a un comportement collectif qu'il appelle genius ou spiritus loci et qui produit une atmosphère particulière qui imprègne tout: le physique, le comportement, la manière de se vêtir, les intérêts manifestés, les idéaux, la politique, la philosophie, l'art et la religion. Dans les pays ayant une longue et solide histoire, le genius est facile à reconnaître » .
Enfin, dans certains pays, l’étude d’événements historiques violents comme des guerres, des génocides ou de fortes répressions qui ont pu traumatiser les populations et être à l’origine de pathologies serait indispensable.
Références:
Liard, V. (2003). Les dérives de l'inconscient - Les explications de C.G. Jung". Esprit critique. Printemps 2003. Vol.05, No.02.
environnement naturel,
Les relations qui existent entre un individu et son environnement physique naturel sont nombreuses et déterminante pour la compréhension d’une culture, la culture étant, comme nous l’avons vu, elle-même souvent considérée comme une domestication et une transformation du naturel par l’homme. A travers une observation et une analyse des réalités géographiques, climatiques… les rapports des êtres humains avec l’eau, la terre, l’air, la végétation, les espèces animales, les pratiques agricoles, de chasse, d’élevage, de pêche, la gestion des ressources naturelles, les préoccupations écologiques… le psychologue-chercheur pourra approcher de nombreux éléments reflétant le quotidien d’un individu et de sa société.
religions et croyances populaires,
La spiritualité d’une culture peut expliquer de nombreux comportements sociaux ou individuels de ses membres. Pour Fabrizio et al. (1994) « les croyances constituent le tréfonds du vécu culturel des peuples », elles se modifient très peu au cours des années, et ont un fort impact sur l’organisation générale de la société. Nous proposons ici de séparer les croyances entre d’une part l’ensemble de la réflexion spirituelle de la communauté, intégrant les religions, les cultes populaires, les rites et les pratiques traditionnelles ayant une origine sacrée ou symbolique et les légendes, les mythes, les pratiques populaires païennes et profanes de l’autre.
A propos de la spiritualité, il s’agit selon Le Huu Khoa (1996) de considérer les religions comme « un ensemble d’expériences collectives, de pratiques relevant à la fois de l’éthique de la connaissance et de la rationalité de l’autocritique. Une éthique de la connaissance qui intervient directement chez l’individu dans sa pratique quotidienne et dans son projet social d’intégration dans la société (...) ; une rationalité autocritique considérée comme l’aptitude à appréhender la complexité de la vie qui conduit l’individu à concevoir la religion comme un réarmement intellectuel susceptible de lui donner des atouts pour affronter les situations de crise ».
C’est évidemment une dimension très importante par rapport à toute prise en charge psychologique car dans toutes les sociétés, chaque croyance apporte ses propres réponses aux interrogations existentielles que se pose l’être humain : l’origine du monde, le sens de la vie et celui de la mort, la place de l’effort et de la souffrance, le rapport avec autrui, la perception du passé et de l’avenir… Elles fixent aussi les systèmes de valeurs, participent à la loi, distinguent la normalité de l’étrangeté, l’admis de l’interdit. Leur influence s’exerce aussi aux moments-clé de la vie, elles rassemblent les personnes, mais peuvent également être à l’origine de conflits. Enfin, d’un point de vue spirituel, les croyances sont souvent source d’espoir ou de craintes et pour les croyants, définissent le salut, les fautes, le pardon… La religion est donc l’une des bases de la culture, et il est tout à fait indispensable d’en connaître ses fondements pour tenter d’en saisir ses prolongements au niveau social.
Références:
Fabrizio, C., Desjeux, D. et Dupuis, X. (1994). La dimension culturelle du développement. Vers une approche pratique. Paris : Presses de l'Unesco.
Le Huu Khoa (1996). L’immigration confucéenne en France. Paris : L’Harmattan.
arts)
L’« art », écrivait Malraux, est le plus court chemin de l’homme à l’homme, et peut alors apporter une myriade d’informations sur une culture et ses différentes composantes.
Pour Febvre (1953), « l’artiste (…) devance souvent pu semble devancer dans ses œuvres les découvertes du psychologue, du moraliste et du savant dans un certain domaine de la pensée. Ou plus exactement disons qu’il illustre souvent avec une force, une pénétration, une clarté scrupuleuse, certaines façons de sentir et comprendre l’homme et le monde que ses contemporains, ni dans leurs écrits littéraires, ne savent mettre encore en valeur avec la même lucidité, la même hardiesse, la même clairvoyante simplicité que lui ».
Derrière des thèmes régulièrement abordés, des pratiques particulières, certaines représentations culturelles pourront se dégager et mettre en lumières des spécificités culturelles.
Face à l’art, différentes questions peuvent se poser. Hatcher (1999) s’interroge alors « « d’où ca vient ? comment est-ce que ca a été fait ? qui l’a fait ? qu’est-ce que ca veut dire ? » et ce sont ces types de questions qui intéressent les anthropologues et les historiens de l’art. Ce genre de question n’impliquent pas seulement des informations spécifiques à propos de l’objet, mais implique des questions à propos de l’art et de toutes ses relations avec la vie humaine » .
Toutefois, il semble que les domaines de l’ « art » et la « culture » soient tellement vastes et complexes, chacun représentant un univers à lui tout seul, que les rapprocher pourra poser des difficultés au néophyte, et lui demandera bien souvent de se faire par certains spécialistes en la matière.
Références:
Febvre, L. (1953). Art et psychologie. Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, Année 1953, Volume 8, Numéro 4.
Hatcher, E.P. (1999). Art as culture: an introduction to the anthropology of art. Santa Barbara : Greenwood Publishing Group.
et d’autres apparaissant plus comme sociaux
(politique,
La politique appliquée dans un pays ou dans une région pourra influencer directement le vécu personnel de ses membres. Aussi, certaines idéologies politiques pourront êtres mises en relation avec une idée d’ « idéal » qui sera encouragée.
A travers son concept de « locus of control », Rotter (1975), partant des théories de l’apprentissage, va s’intéresser au choix des individus par rapport à l’investissement de leurs comportements. Selon lui, l’individu agit en fonction de la relation causale qu’il établi entre les renforcements et ses comportements, et cette perception pourra être de deux niveaux, certains auront plutôt tendance à estimer que les renforcements sont provoqués par des facteurs externes, alors que d’autres, liés à leurs dispositions personnelles .
Aussi, pour Godefroid (2007), l’externalité semble prédominante dans certaines sociétés : « c’est notamment le cas pour les individus appartenant à des sociétés soumises à un régime politique ou religieux contraignant, dans lesquelles le bien être subjectif repose, de ce fait, sur l’attribution ou la responsabilité des évènements à des causes externes ». Dans ces cas, les individus « sont persuadés que ce sont les autres, la chance, ou encore le hasard, qui sont uniquement à l’origine de leur vie et de leur façon dont ils y réagissent ».
Aussi, Garrabé (2008), rappelle qu’en 1948, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme adoptée par l’Organisation des Nations Unies reçu « l’opposition de l’URSS, de cinq démocraties populaires, de l’Afrique du Sud et de l’Arabie Saoudite. Nous notons que les associations psychiatriques de certains de ces pays seront mises en cause lors du VIe congrès mondial d’Honolulu en 1977 en raison de l’utilisation abusive de la psychiatrie à des fins de répression politique. (…). Il n’est pas inutile de rapporter ces faits en ce début de XXIème siècle où les droits de l’homme sont loin d’être respectés dans tous les pays, même ceux membres de l’ONU, et a fortiori les malades mentaux considérés comme des personnes ».
A travers cette étude de l’environnement politique, il semble également indispensable de s’intéresser à la situation des droits de l’homme (respect des droits fondamentaux, liberté d’expression, liberté religieuse…) dans le pays concerné qui aura un impact direct sur le quotidien et la santé mentale des individus.
Références:
Garrabé, J. (2008). Point de vue historique sur la psychiatrie de la personne. Evolution psychiatrique 2008 ; 73.
Godefroid, J. (2007). Psychologie : science humaine et science cognitive. Louvain-la-Neuve : De Boeck Université.
Rotter, J.B. (1975). Some problems and misconceptions related to the construct of internal versus external control of reinforcement. Journal of Consulting and Clinical Psychology, 43.
économique,
La situation économique est un autre élément fondamental d’une société à connaitre pour le psychologue-chercheur étranger, que ça soit par rapport à son travail clinique avec les patients ou le fonctionnement du centre dans lequel il travaillera. Beaucoup d’éléments rentrent en jeu : habitudes de consommation, statut du travail et de l’effort, salaire… Egalement, citons le niveau de pauvreté, voire de misère, et les pratiques de corruption qui concrètement, pourront avoir de grandes influences sur le développement d’un projet de santé mentale.
structures sociales,
L’appellation de « structures sociales » est une notion bien vague et son rapport avec la psychologie parait flou et mal défini. Nous nous intéresserons ici à quelques réalités sociales qui seront particulièrement liées avec la santé mentale et la prise en charge psychologique.
Tout d’abord, au niveau de la population, malgré le fait que certaines régions du monde restent encore dénuées de statistiques précises et d’enquêtes sociales, il semble important pour le psychologue-chercheur d’essayer de se procurer des données démographiques ou sanitaires pour une société donnée. On peut alors penser par exemple à l’effectif total d’une population, sa répartition (en fonction du sexe, de l’âge, du lieu d’habitation, de l’activité…), l’évolution démographique (âge moyen, taux de natalité, de mortalité, de mortalité infantile…), la nature de la population (sédentaire, nomade, réfugiées, déplacée…), les types d’habitat, l’hygiène du milieu, le taux d’alphabétisation, les principales maladies…
Aussi, à un niveau plus groupal, le psychologue-chercheur doit s’intéresser à l’organisation de la communauté, à ses systèmes de valeurs, ses influences, ses règles... Pour cela, il peut utiliser de nombreuses pistes de recherche : la place accordée aux plus faibles (personnes handicapés, vieillards, malades, marginaux…), aux minorités, aux femmes…
La structure familiale semble être aussi d’une importance capitale car elle est souvent à la base de la société et fondamentale dans la construction de l’individu. Différents éléments sont successibles d’intéresser le psychologue-chercheur : places respectives, culturellement admises, du père, de la mère, des grands-parents, de la belle famille, des enfants, des ancêtres… ; distribution des tâches et des responsabilités ; règles matrimoniales ; autorité ; organisation et règles présentes dans la fratrie ; éducation ; aménagement de l’espace qui permet d’apprécier les relations existantes entre les membres de la famille ; symboliques utilisées lors des moments de vie (naissance, mariage, anniversaire, deuil...)...
Fabrizio et al. (1994) demandent également de s’intéresser à la notion de « dépense » comme type de consommation : « La notion de dépense est elle même éminemment culturelle. Elle ne représente pas seulement l’investissement rationnel d’une somme ou d’un effort dans l’acquisition d’un bien ou d’un service dont la valeur a été soigneusement appréciée. Elle consiste aussi dans l’excès, le dépassement des règles et de contraintes de la vie quotidienne. (…) C’est ainsi que l’on peut considérer, selon les sociétés, des pratiques aussi diverses que les sacrifices religieux, les jeux de hasard ou la recherche d’une plongée dans l’imaginaire par des moyens artificiels (boissons, hallucinogènes, etc.) » .
Chaque société a donc ses spécificités qui apportent chacune, des renseignements sur les modes de vie de ses habitants, sur leurs habitudes et donc sur un aspect de leur fonctionnement psychique.
Références:
Fabrizion, C., Desjeux, D. et Dupuis, X. (1994). La dimension culturelle du développement. Vers une approche pratique. Paris : Presses de l'Unesco.
étude de systèmes institutionnels).
Nous proposons ici enfin l’étude et une certaine connaissance de trois systèmes institutionnels du pays rencontré qui renseigneront le psychologue-chercheur étranger à la fois sur le fonctionnement du pays et lui apporteront aussi des repères pouvant ensuite être mis en relation avec l’histoire personnelle de ses patients : la santé, l’éducation et la justice.
L’étude du système scolaire et universitaire apportera des informations sur le quotidien des enfants, adolescents et jeunes adultes, mais renseignera également sur la qualité de l’enseignement et les valeurs qui sont transmises.
Une connaissance minimum du système de santé du pays dans lequel le psychologue se trouve est importante car il sera régulièrement amené à contacter des médecins (psychiatres, pédiatres et autres spécialistes…) ou encore lire certains comptes-rendus médicaux de ses patients.
Enfin, le système juridique lui renseignera le psychologue sur le sentiment de sécurité perçu par les habitants du pays. Un système juridique et policier juste et sûr aura une influence très différente sur la population que des systèmes qui seront craints à cause d’injustices et d’abus.
Nous ne citons ici que quelques domaines principaux, mais il en existe évidemment un nombre beaucoup plus important, presque infini à partir du moment où on conçoit que chaque spécificité culturelle influencera à sa façon la société qui les pratique. Le psychologue-chercheur pourra alors effectuer ses recherches dans les domaines qui l’intéressent et qu’il pensera intimement liés avec la culture rencontrée.
Références:
Cernea, M.M. (1999). La dimension humaine dans les projets de développement : les variables sociologiques et culturelles. Paris : Karthala Editions.
Konnak, C.P. (1999). Quand l’aspect humain n’est pas mis au premier plan. Enseignements sociologiques tirés de projets terminés. In Cernea, M-M. (Eds). La dimension humaine dans les projets de développement: les variables sociologiques et culturelles. Paris : Karthala Editions.