Dans le cadre d’un projet en psychologie clinique, une étude de la situation de cette discipline et de certains points en rapport avec la psychologie dans le pays est indispensable.
Le DSM-IV, classification plus ou moins discutée des troubles mentaux, propose par exemple au clinicien une « esquisse d’une formulation en fonction de la culture » pour fournir « une revue systématique de l’origine culturelle d’un individu, le rôle du contexte culturel dans l’expression et l’évaluation des symptômes et des dysfonctionnements, et l’effet que les différences culturelles peuvent induire sur la relation entre l’individu et le clinicien » .
- L’« identité culturelle d’un individu » (groupe ethnique ou culturel de référence de l’individu, capacité, usage et préférence linguistique, degré de participation de la culture d’origine et de la culture d’accueil pour les immigrants et les minorités ethniques…) ;
- Les « explications culturelles de la maladie de l’individu » (représentations principales de la souffrance (ex., « les nerfs », la possession, les plaintes somatiques, le malheur inexplicable), la signification et la perception de la sévérité des symptômes d’un individu par rapport aux normes du groupe de référence culturelle, la terminologie médicale locale utilisée par la famille d’un individu ou la communauté pour identifier l’affection, les causes perçues ou les modèles explicatifs que l’individu et le groupe de référence utilisent pour expliquer la maladie, les expériences antérieures, la préférence actuelle pour une prise en charge par des méthodes conformes ou non aux usages de la profession médicale…) ;
- Les « facteurs culturels en relation avec l’environnement psycho social et les niveaux de fonctionnement » (interprétations culturelles pertinentes des facteurs de stress sociaux, du support social disponible et des niveaux de fonctionnement et du handicap, stress dans l’environnement social immédiat , rôle de la religion et du réseau familial comme source de soutien émotionnel, matériel ou informatif….) ;
- Les « éléments culturels dans la relation entre l’individu et le clinicien » (différences de culture et de statut social entre l’individu et le clinicien, problèmes que ces différences pourraient causer dans le diagnostic et le traitement (p. ex., difficultés de communiquer dans la langue maternelle de l’individu, difficultés à identifier les symptômes et à comprendre leur signification culturelle, difficultés à établir une relation appropriée ou un certain degré d’intimité, difficultés à déterminer si un comportement est pathologique ou normal) ;
- L’« évaluation culturelle globale pour le diagnostic et la prise en charge » (façon dont les considérations culturelles influencent de façon spécifique la complétude du diagnostic et de la prise en charge »….
A travers une étude de l’histoire du développement de la psychologie et la psychologie clinique au sein du pays, le psychologue étranger pourra se représenter les différents courants qui auront été influents et leurs apports. Parfois, quelques figures particulières (médecins, psychologues, enseignants…) sont associées directement à la pratique psychologique et seront des références à étudier.
A travers des études menées sur le terrain (ministère de la santé, ONG, UNICEF, WHO, chercheurs…), le psychologue étranger pourra avoir connaissance de données épidémiologiques sur la prévalence de tels ou tels troubles, ou encore des études concernant certains troubles particuliers, parfois même spécifiques à la culture rencontré, ou encore quelques population particulières. Toutefois, il peut être habituel que le psychologue soit confronté à un manque d’informations dû à une rareté de recherches entreprises. Cette situation, qui pourra alors être un frein au travail du psychologue, pourra être toutefois être contournée grâce à la rencontre de professionnels locaux qui pourront éclairer le psychologue grâce à leurs expériences.
Toujours dans une optique de prospection des ressources disponibles, le psychologue étranger devra selon nous s’intéresser aux publications disponibles dans le pays (articles de recherche, livres originaux, traduction d’ouvrages…). Aussi, il pourra rechercher les outils cliniques utilisés (tests et épreuves diagnostiques, tables de développement…) dont il pourra ensuite s’inspirer dans sa pratique.
L’étude du système de formation en santé mentale est un autre point qui apportera de nombreux repères au psychologue étranger : connaitre les programmes, rencontrer les enseignants et les étudiants, participer à des formations… pourront, en plus de mettre en place un réseau de professionnels, renseigner les psychologues sur les certaines bases théoriques et pratiques mises en avant dans la société.
Les représentations culturelles varient d’une culture à l’autre. Elles permettent à chaque fois de fixer les limites : définir la normalité et l’anormalité, la santé et la pathologie, le public et le privé, le laïque et le sacré…
Les modèles culturels ont une forte influence sur la santé mentale.
En effet, selon Baubet et Moro (2003b), « la manière dont les symptômes de souffrance s’extériorisent et sont perçus par l’individu, sa famille, le groupe, conduit à un comportement de recherche de soins congruent à ces modèles » , ce qui implique un certain « conditionnement » quant à la « manière dont les symptômes sont vécus, le degré de gravité qui leur est conféré, l’attente par rapport aux soins, les possibilités d’alliance thérapeutiques avec le praticien qu’ils vont solliciter » .
A travers l’étude du système de santé hospitalier ou médical, la rencontre de professionnels, une revue de la littérature… le psychologue pourra s’informer sur les différentes pratiques de psychologie clinique présentes dans le pays : considérations dont sont vécus et pensés l'origine d'une maladie et le traitement, utilisation du diagnostic, pratiques de tests, pratiques psychothérapeutiques…
Aussi, dans beaucoup de cultures, appelées « primitives » par certains, « prélogiques » ou « archaïques » par d’autres, l’homme est placé au centre d’un univers qui est peuplé par différentes entités comme des démons, des djinns, des rabs, des esprits animaux, les âmes de défunts… Ces êtres surnaturels auront des effets plus ou moins directs sur son quotidien, et pourront être interprétés comme à l’origine de ses troubles de santé. Dans ces cas-là, le remède se situe lui aussi au niveau spirituel, et sans aucun rapport avec le monde médical ou scientifique.
Cette relation avec le « monde de derrière » est particulièrement importante à connaître pour notre recherche car elle renvoie directement à ce qui a pu être appelé la « mentalité primitive », la conception que beaucoup de Vietnamiens par exemple, ont de leur existence et l’influence extérieure qui peut agir sur leur vie. Lucien Levy-Bruhl (1931) a spécialement étudié cette relation entre nature et surnature, où comment chez certains peuples primitifs, en particulier d’Amazonie, le monde est considéré comme inexplicable, imprévisible, la nature étant directement liée aux décisions des divinités avec une croyance mystique « à des forces, à des influences, à des actions imperceptibles aux sens et cependant réelles » . La mentalité commune utilise alors surtout une approche prélogique, ne portant que peu d’attention à la causalité ou aux contradictions.
Selon Levy-Bruhl, la conception du monde est alors plus émotive que rationnelle, la perception subjective de la réalité remplace celle-ci, cela explique pourquoi les chamans ou autres guérisseurs ne cherchent pas forcément des causes avec une dimension concrète, rationnelle ou coordonnée mais au contraire des raisons qui peuvent s’expliquer grâce à la magie ou au surnaturel (voir sur ce thème Bosc, N. (2004)). Aussi, il semble souvent que l’on ne peut pas séparer les deux approches thérapeutiques, car face à tout troubles mentaux ou survenue de difficultés particulières, peuvent exister ou coexister dans de nombreuses cultures, plusieurs approches et ainsi différents praticiens : guérisseurs, religieux, médecins… qui pourront être consultés simultanément.
Le rapport qu’a une société aux soins, et en particulier à la santé mentale, est très souvent lié à ses représentations culturelles et cette cohabitation entre les différentes approches est souvent complémentaire et parfois non-concurrentielle, car chacun proposera sa théorie et ne s’engagera pas sur le territoire d’un autre. On nomme alors « itinéraire thérapeutique » , le parcours que peut prendre un patient pour rechercher différents types de savoir sur sa maladie et obtenir la guérison. Il est donc utile de connaître les différentes approches de la maladie qui peuvent coexister dans une société, pour concevoir le rapport que ses membres peuvent avoir avec la pathologie en général.
Références:
Baubet, T. et Moro, M.R. (2003a). Psychiatrie et migrations, Paris : Masson.
Bosc, N. (2004). L’initiation traditionnelle des chamanes peut-elle nous éclairer dans le débat sur la formation des psychothérapeutes ? Mémoire de DEA sous la direction du Pr Serban Ionescu. Université Paris VIII.
Levy-Bruhl, L. (1931). La mentalité primitive. Oxford : The Clarendon press.